LE JUGEMENT DE VALEUR QUI PORTE À LA DIFFUSION DES  PRÉJUGÉS ET DES RUMEURS

 La rumeur désigne une nouvelle plus ou moins fondée qui se répand dans le public.  Elle s’explique par le fait qu’il est de l’ordre du mental, toujours trop curieux, d’inventer quand il ne sait pas.  Elle s’explique encore par le fait que, quand on se sent petit et minable, on croit gagner de la prestance en abaissant autrui.

   La rumeur naît du bavardage enfantin qui n’a pas été canalisé par le sens des valeurs.  On n’a pas pondéré sa propension à provoquer ou à exagérer, surtout si on est encouragé par des auditeurs complaisants.  Avec le temps, le goût de partir des rumeurs se transforme en une force destructrice capable de balayer réputations et amitiés.

   En tout temps, la rumeur n’est qu’un bavardage vain, transmis, emballé ou déformé, amplifié et nourri, gonflé par l’envie et le dépit de chacun qui la reçoit.  Il se transforme rapidement en un raz-de-marée méconnaissable, dévastateur.  La rumeur naît de la curiosité élémentaire à propos du monde et des autres.  Tous portent cette propension à écouter et répéter les nouvelles.  Mais, contrairement au bavardage, elle a le pouvoir souverain de tout abaissier et déformer, pouvant se retourner contre celui qui se dit ou se croit blanc comme neige.  Née sur une mauvaise langue, elle peut devenir hargneuse et perfide, fomentarumeurs12nt les querelles vaines et mesquines.  Elle n’est plus qu’un bavardage sans complexe, elle devient un poison social entretenant l’ignorance, les superstitions et la séparativité.

   La diffusion des rumeurs peut être un jeu divertissant, en société, mais c’est un fléau social auquel aurait tort de succomber un chercheur spirituel.  On entend par là cette tendance à rappeler des informations présumées que l’on simplifie et restructure de façon éminemment partiale et affective, les altérant sensiblement.  La majorité des gens sont ainsi portés à déformer les faits pour les conformer à leur compréhension ou à leurs désirs, mais s’écartant tout à fait de la réalité, simplement pour se défouler ou se rendre intéressants. Écoutez une émission de télévision avec un groupe et demandez ensuite ce que les gens ont retenu de son contenu.  Vous serez consternés par les monstruosités qu’on débitera parce qu’on n’écoute jamais rien, on projette sa subjectivité.  Or, interpréter ne conduit jamais à connaître la vérité, mais à se complaire dans le préjugé.  Les gens sont alors mentalement paresseux et malhonnêtes, mais sans trop de mauvaise volonté!

   Il se passe un phénomène analogue sur les blogs et les réseaux sociaux.  Dans les diverses interventions, comme l’esprit est porté à généraliser, au lieu de faire du cas par cas et de laisser la chance au coureur, on se prononce ex cathedra sur la moindre phrase.  On lit la remarque d’un internaute et, si elle ne plaît pas, sans le connaître, sans lui poser de question pour se faire une meilleure idée de son énoncé, on intervient de façon péremptoire et cinglante, ne se rendant pas compte que, n’étant pas lui et ne connaissant pas le fond de sa pensée, on ne peut que l’interpréter.  On juge de l’iceberg à partir de sa ponte.  Et on juge du continent à partir de la falaise!  On dit ne pas juger, mais on juge.  Et on se donne autant raison de le faire qu’on se prend pour un redresseur des torts du monde.  Mais, soi, on dit toujours se prononcer par la voie du cœur.  Sait-on que c’est de l’ingérence que d’attaquer un autre sans avoir été personnellement interpelé?  Sait-on que c’est aussi de l’ingérence et du sectarisme que de se porter à la défense d’autrui sans y être invité?  Mais, dans le deux poids et deux mesures de l’ego, sa faute à soi, elle est toujours minime, et elle mérite compassion, tandis que la faute de l’autre est toujours grave, d’où il faut la sanctionner en toute hâte dans l’immédiat.

   Mais il y a des gens de peu de culture ou de moindre conscience qui confondent tout.  C’est un droit de le dire puisque c’est un fait et qu’un fait peut se dire.  Ils ont lu la phrase : il faut éviter de juger.  Mais sans comprendre le sens profond de la maxime, ils mettent dans la même poche tous les raisonnements d’autrui.  Tout ce qu’ils disent devient un jugement.

   Cela est vrai au sens où le jugement est une faculté de l’esprit qui permet d’apprécier une réalité.  Après l’avoir vu de ses propres yeux, dire qu’un chat noir est noir est un jugement, mais est-il interdit de le dire?  Il s’agit d’un constat et un constat démontré peut s’affirmer.  Signaler à quelqu’un qui fait des fautes quand il écrit peut n’être qu’un constat si on a la compétence linguistique pour se prononcer.  Et cela ne devrait vexer personne de se l’entendre dire ou de l’entendre dire.  On n’est sensible à ce genre de jugement que dans la mesure qu’on fait partie du lot des êtres inclus dans le jugement et qu’on s’en fait un complexe.

   Car, ce n’est pas le jugement comme opération de l’esprit, qui est interdit, c’est le jugement de valeur.  Il  s’agit alors du fait de se prononcer sur quelque chose en termes de bien ou de mal à partir de ses critères moraux ou éthiques.  Car le jugement de valeur laisse entendre que sa manière de penser est supérieure à celle d’autrui quand on devient juge et partie pour en décider.  Dans ce domaine, on porte toujours en soi le tort qu’on dénonce, car on ne peut être sensible à une réalité sans l’avoir expérimentée.

   Ainsi, d’une part, le jugement désigne la faculté de l’esprit qui permet de bien évaluer les choses qui ne font pas l’objet d’une connaissance immédiate certaine ni d’une démonstration rigoureuse.  Cette faculté permet de conclure, suite à une observation et à un constat, comment sont les choses ou il peut préciser qu’il peut exister quelque chose d’autre que ce que l’on pensait ou savait.   Ensuite, il désigne le fait d’établir une décision en tant que tribunal ou arbitre.  Enfin, le jugement désigne l’appréciation établie d’après un système de valeurs, attestant de ce qu’un être tient pour bon ou tient pour mauvais.

   En fait, le jugement désigne simplement la faculté de comprendre et d’apprécier sainement, donc avec discernement. Fondée sur l’expérience personnelle, cette faculté devient rapidement subjective, partiale et… arbitraire lorsqu’elle inclut les valeurs personnelles.  Elle exprime un avis à partir des croyances personnelles et du vécu individuel qui reposent sur un système de valeurs ou de principes moraux.  En principe, le jugement devrait servir à développer le discernement, à faire le point sur soi-même, à constater la réalité des choses, à faire un bilan pour comprendre lucidement les possibilités offertes par une expérience ou à bien s’organiser dans la vie, non pour établir une hiérarchie de valeurs, ce qui divise.

   Le problème du jugement, c’est que, chez la majorité, cette faculté s’érige rapidement en tribunal suprême, à partir de sa perception de la vérité, mieux dit de sa vérité.  Chacun juge selon ses critères et ses valeurs, à partir de ce qu’il tient pour légitime et licite et ce qu’il tient pour illégitime et illicite.   À ce propos, quelqu’un a dit avec humour, cynisme ou réalisme que le jugement est un juge qui ment.  On pourrait comprendre un fareflets-72_oit sans en juger si on savait vraiment pourquoi il s’est produit et à quelle fin.  Le besoin de juger illustre un besoin de prouver sa supériorité dissimulant une crainte d’infériorité.  Et on juge les autres dans la mesure qu’on se juge, les jugeant d’autant plus sévèrement qu’on porte encore des points de conscience irrésolus, qu’on sent le besoin de se disculper, de diriger le regard d’autrui ailleurs que sur soi.

   Quelqu’un a dit : «Lorsque vous condamnez quelqu’un pour une chose ou une autre, c’est en réalité des aspects de vous-même que vous jugez à travers un autre. C’est là la raison pour laquelle ceux-ci sont si faciles à identifier. C’est la raison pour laquelle votre attention est attirée par ces aspects. L’entité devant vous est seulement le miroir des jugements que vous portez à votre encontre; et cela peut vous aider à réconcilier les jugements que vous avez sur vous-même que vous avez acceptés d’autres entités.»  Ainsi, il faut savoir que qui juge se juge, car nul ne pourrait prendre conscience d’un fait s’il ne portait pas en lui sa correspondance.  Surtout, en se jugeant et en jugeant les autres, on entretient une vibration négative qui écarte de la compréhension et de la compassion.  Car le jugement évoque toujours une manifestation de la personnalité (ego) qui établit ses préférences à partir des ses propres critères.

   Le jugement de valeur résulte de la propension à tout évaluer et comparer, à projeter ses pensées sur autrui, à se raconter toutes sortes d’histoires sur soi-même et sur les autres.  C’est bien connu, quand on ne sait pas, on invente, pour satisfaire la curiosité insatiable de son mental.  Ainsi, le jugement empêche de voir clairement les réalités comme elles sont.  Il amène à interpréter la réalité, colorant le ressenti.  Il empêche de décrire les choses exactement comme elles sont, ses perceptions étant incapables de voir au-delà des illusions.

   Tout bien compté, plus on est attaché à une personne, plus on s’illusionne sur son compte et plus on la juge faussement.  Il arrive qu’on dise qu’on connaisse quelqu’un comme si on l’avait tricoté.  Pourtant, comme on ne se connaît aussi mal, comment cela peut-il être possible?  Peut-on connaître autrui mieux que soi-même?  Peut-on connaître autrui si on ne se connaît pas soi-même?  Lorsqu’on est trop attaché à une personne, on ne parvient plus à cerner sa réalité ou on ne veut plus la regarder de façon objective, de sorte qu’on croit impossible qu’elle puisse changer.  On ne vit que pour le jour où elle deviendra enfin ce qu’on sait qu’elle peut être.

   Ici, il faut bien comprendre que ne pas juger ne signifie pas ne pas avoir d’opinion.  L’opinion peut réprouver, condamner, générer l’action, mais elle le fait avec amour et objectivité, donc sans mépris, sans aversion, sans jalousie, sans colère.  Si elle reste une expression paisible de l’être, elle devient un ferment de liberté.  Tout accepter sans se prononcer révèle souvent une passivité qui encourage l’injustice : il s’agit du faux détachement du paresseux du cœur.  Comme la distinction est subtile, la frontière, fort mince, seule la pureté d’intention et la volonté d’aimer permet de faire la différence.  Il n’en reste pas moins que le réflexe du jugement bloque la circulation de l’énergie et qu’il épuise son auteur.  La plupart du temps, il exprime la révolte souffrante de l’ego dont la vision réductrice se veut mesure de tout.  Qui plus est, qui juge entretient l’esprit de séparativité.  Qui divise œuvre du côté des forces sombres : il entretient la dualité et il épaissit la négativité.  Qui exprime son opinion sur les autres, à tort et à travers, lance le message subtil que, dans ce monde, il ya des manières d’être conformes et acceptable et d’autres qui ne le sont pas.  Il exprime qu’il faut se conformer à des normes pour être accepté.  Du coup, il exprime qu’on ne peut soi-même être accepté des autres que dans certaines conditions.  Voilà qui mène tout droit à la confrontation et à l’ostracisme ou à un dialogue intérieur de critique et d’autocritique.  Alors, on forme des images négatives de soi ou des autres, créant en soi une ouverture qui permet qu’elles reviennent directement sur soi.

   Tout jugement est porté à partir d’une échelle de valeur, relative en elle-même, qui élève ou rabaisse les autres autant que soi-même.  On empêche tout les gens de vivre en accord avec eux-mêmes.  C’est ainsi que, par manque d’amour, on écarte ou rejette trop de personnes utiles à son évolution.  Les autres ne servent-ils pas de miroir qui réfléchit ses grandeurs et ses faiblesses?  Dieu ne juge jamais : patient, au moment opportun, il se contente de donner à chacun les moyens d’apprendre à partir de ses erreurs, de manière à pouvoir grandir et évoluer.  Alors, si Dieu ne juge pas, qui peut se permettre de juger?

   Puisque c’est la plus belle vision qu’on puisse se former d’autrui, plutôt que de juger, il vaudrait mieux supposer, ce qui est la réalité, que chaque personne est en instance d’évolution, donc en voie d’atteindre son potentiel le plus élevé, sa Perfection, par la perfection du moment.  Mais il n’est pas facile d’arriver à ce degré de compréhension.  Si ce qu’une autre personne fait présentement ne se conforme pas à l’harmonie avec son plus grand bien, cela reste son problème, s’il y a problème, non le sien.  Envoyer de l’amour dans les circonstances déplaisantes aide beaucoup plus que de projeter ses jugements personnels, souvent plutôt négatifs.  Mais il est moins facile de le faire que de juger.  En dépassant ses jugements, on apprend à voir les autres avec les yeux de la compassiorumeursn, ce qui amène à se sentir lié à leur destin, une partie du destin commun.  Si on savait regarder les autres sans les juger sur ce qu’ils sont et font, on les ressentirait plus profondément.  On ne peut aider les autres si on se sépare d’elles par ses préjugés.  On ne peut les aider que si on se centre sur ce qu’il y a de beau et de bon en eux, leur envoyant de la lumière par les yeux et de l’amour par le cœur.

   Attention : garder une vision élevée de quelqu’un consiste à la voir clairement dans sa réalité actuelle et de l’aimer pour ce qu’il est maintenant.  Il s’agit de se centrer sur ses qualités plutôt que sur ses faiblesses.  Quand on n’accorde ses soins qu’aux plantes qu’on n’aime pas, on laisse s’étioler les plantes qu’on aime, et celles qu’on n’aime pas prospèrent, prenant le dessus sur les autres.  En revanche, on ne peut pas juger une personne qu’on ne connaît pas puisque, en pareil cas, on ne juge que de ses propres reflets dans son miroir.  Connaître une personne, c’est l’atteindre par l’intérieur, au plan de son âme, non la connaître dans son histoire ou pouvoir la décrire dans ses apparences.  Les apparences masquent ce qu’il y a à l’intérieur : au-delà des illusions, à l’intérieur, chacun est une merveille, une entité d’une dignité infinie, un chef-d’œuvre de la Création.

© 2012-15, Bertrand Duhaime (Dourganandâ).  Tous droits réservés. Toute reproduction strictement interdite pour tous les pays du monde.  Publié sur : www.larchedegloire.com.  Merci de nous visiter sur : https://www.facebook.com/bertrand.duhaime.

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