UNE LONGUE FIN DE SEMAINE POUR CÉLÉBRER LA DIGNITÉ DES TRAVAILLEURS…

Il existe une journée spécialement dédiée aux travailleurs, désormais appelée la «fête du Travail».  C’est la journée des travailleurs, ou fête des travailleurs, qui s’est transmuée en cette fête, désigne une fête internationale annuelle célébrant les travailleurs. Peu marquée par les églises, elle est l’occasion d’importantes manifestations du mouvement ouvrier.  À l’origine, instaurée comme journée annuelle de grève pour la réduction du temps de travail, elle est désormais célébrée dans de nombreux pays du monde le premier mai pour marquer les gains des travailleurs du monde ouvrier.  Souvent, mais pas toujours, les pays l’ont instaurée comme jour férié légal, car on l’associe parfois à d’autres festivités ou traditions populaires locales.

Trois ans après un drame aux États-Unis, lors d’une manifestation de travailleurs, la Deuxième Internationale socialiste se réunit à Paris pour le centenaire de la Révolution française et l’exposition universelle.  Sur une proposition de Raymonde Lavigne, elle décida, le 20 juillet 1889, de faire de chaque premier mai une journée de manifestation avec, pour objectif, la réduction de la journée de travail à huit heures (soit 48 heures hebdomadaires, le dimanche étant seul chômé).fête-du-travail

Le premier mai 1890, dans la plupart des pays, avec des participations diverses, on commémora ce jour.  Toutefois, le Premier Mai de 1891, à Fourmies, dans le Nord de la France, la manifestation tourna au drame : la police tira sur les ouvriers et tua neuf personnes.  Avec ce nouveau drame, le Premier Mai s’enracina dans la tradition de lutte des ouvriers européens.  Quelques mois plus tard, à Bruxelles, l’Internationale socialiste renouvela le caractère revendicatif et international du premier mai.  En 1920, la Russie bolchévique décida que le premier mai serait désormais chômé et deviendrait la fête légale des travailleurs.  Son exemple fut suivi dans la plupart des autres pays.  Toutefois, aux États-Unis, les premiers défilés de travailleurs n’eurent lieu qu’en 1882.  En Europe, depuis 1889, on fait coïncider les festivités du Premier Mai avec les célébrations de la fête du Travail.  En 1955, l’Église catholique ne voulant pas être en reste, le pape Pie XII institua la fête de saint Joseph artisan, destinée à une célébration le premier mai de chaque année, ce qui, dans certains pays chrétiens anoblit ce jour, l’amenant à être adopté.

En Amérique du Nord, soit aux États-Unis et au Canada, on célèbre la fête du Travail le premier lundi de septembre puisque les puissants syndicats nord-américains comme l’AFL-CIO n’ont pas voulu s’aligner sur les syndicats européens d’orientation socialiste.  Tout de même, certaines personnes continuent de célébrer le Premier Mai en Amérique du Nord.  En effet, on distingue la fête du Travail (premier lundi de septembre) de la fête des Travailleurs (premier mai), cette dernière étant perçue comme une journée de célébration de la classe ouvrière, alors que plusieurs considèrent l’autre comme une tentative de récupération des luttes ouvrières.  Ainsi, fête du Travail officielle (Labor Day) est célébrée le premier lundi de septembre, un jour férié marquant traditionnellement la rentrée (scolaire, artistique et autre), après les vacances d’été, tandis que la fête des Travailleurs se déroule le premier mai, un jour qui n’est pas férié, mais qui est très largement célébré par les syndicats, ainsi que les partis, groupes et organisations de gauche.

Aux États-Unis, le «Labor Day» (ou Fête du Travail) n’est pas directement lié aux fameuses journées de mai 1886 à Chicago dites «Haymarket affair». Dans ce pays, au cours de leur congrès de 1884, les syndicats étasuniens se donnèrent deux ans pour imposer aux patrons une limitation de la journée de travail à huit heures. Ils choisirent de lancer leur action le premier mai parce que beaucoup d’entreprises américaines entament ce jour-là leur année comptable, et que les contrats ont leur terme ce jour-là.  C’est ainsi que le premier mai 1886, la pression syndicale permit à environ  200 000 travailleurs d’obtenir la journée de huit heures. D’autres travailleurs, dont les patrons n’ont pas accepté cette revendication, entamèrent une grève générale à laquelle environ 340 000 personnes participèrent dans tout le pays.  Le 3 mai, une manifestation fit trois morts parmi les grévistes de la société McCormick Harvester, à Chicago.  Le lendemain eut lieu une marche de protestation et, dans la soirée, tandis que la manifestation se disperse à Haymarket Square, il ne restait plus que 200 manifestants pour faire face à autant de policiers.

C’est alors qu’une bombe explosa devant les forces de l’ordre, faisant un mort dans les rangs de la police. Sept autres policiers furent tués dans la bagarre qui s’ensuivit.  Après cet attentat, cinq syndicalistes anarchistes furent condamnés à mort (Albert Parsons, Adolphe Fischer, Georges Engel, August Spies et Louis Lingg ; quatre furent pendus le jour du vendredi noir).  Il faut préciser que, malgré l’inexistence de preuves, le dernier (Louis Lingg) s’est plutôt suicidé dans sa cellule. Trois autres travailleurs furent condamnés à perpétuité.  En 1893, la révision du procès reconnut l’innocence des huit inculpés ainsi que la machination policière et judiciaire mise en place pour criminaliser et casser le mouvement anarchiste et, plus largement, le mouvement ouvrier naissant. Sur une stèle du cimetière de Waldheim, à Chicago, sont inscrites les dernières paroles de l’un des condamnés, August Spies : «Le jour viendra où notre silence sera plus puissant que les voix que vous étranglez aujourd’hui.»

C’est avec la résolution suivante prise dans l’été de 1885, par le «Central Labor Union», fondé à New-York, en mars 1882, que le Premier Mai se transmua au premier lundi de septembre, alors que d’autres organisations syndicales avaient déjà voté et adopté une proposition visant à honorer le premier mai 1886.  On promulgua : «Considérant que différents jours de l’année sont consacrés par la loi comme jour de repos en mémoire d’événements importants, et considérant qu’il n’en est aucun qui se rapporte à une démonstration ouvrière, le «Central Labor Union» déclare le premier lundi de septembre de chaque année «Labor Day» et décide que ce jour sera observé comme jour de repos.  Nous demandons à toutes les organisations centrales de travailleurs dans tous les États-Unis de s’unir à nous pour exécuter dans sa lettre et dans son esprit la présente résolution.»

Avec les longues heures et les conditions de travail terribles, les ouvriers new-yorkais exprimèrent pour la première fois leur demande d’un meilleur mode de vie le mardi 5 septembre 1882.  De l’hôtel de ville à la place des syndicats, dix mille ouvriers marchèrent, inaugurant le tout premier défilé de lÉtats-Unisa fête du Travail.  Les participants prirent un jour de congé sans solde pour honorer les ouvriers de l’Amérique, et pour exprimer leurs revendications aux employeurs.  Au fil des années, d’autre États commencent à tenir ces défilés, mais le Congrès ne légalisa ce jour chômé en jour férié que douze ans plus tard.

Le 11 mai 1894, à Chicago, les ouvriers de «Pullman Palace Car Company» protestèrent contre des réductions de salaire et le licenciement des représentants syndicaux.  Ils cherchèrent l’appui de leur syndicat central mené par Eugene V. Debs.  Le 26 juin, l’union américaine des chemins de fer appela à un boycott de toutes les voitures ferroviaires de Pullman.  Dans les jours qui suivirent, cinquante mille ouvriers du rail se conformèrent à cette directive et la circulation ferroviaire à Chicago s’arrêta.

Le 4 juillet, le président américain, Grover Cleveland, envoya douze mille hommes de troupe briser le mouvement.   S’ensuivirent des émeutes et des affrontements violents, ce qui provoqua la mort de deux hommes à Kensington, près de Chicago.  On déclara la grève terminée le 3 août 1894, les ouvriers de Pullman prenant même l’engagement de ne plus se syndiquer.

En raison de la brutalité démontrée, les représentants s’émurent et ceux de Washington réussirent à faire passer la proposition d’un jour chômé, le premier lundi de septembre, pour honorer les travailleurs. Le président lui-même signa le projet de loi instaurant officiellement le «Labor Day», six jours à peine après l’intervention de l’armée, dans l’espoir de se faire réélire la même année.  Mais cet espoir s’est démontré plus que vain.

D’après le Département du Travail des États-Unis, la première proposition de «Labor Day» tirerait son origine du fait suivant.  En effet, quelques sources démontrent que Peter J. Mc Guire, secrétaire général de la confrérie des charpentiers et des menuisiers, avec l’aide d’un cofondateur de la Fédération américaine du Travail, auraient, les premiers, suggéré un jour pour honorer «ceux qui de la nature brute ont taillé et ouvragé toute la splendeur que nous contemplons».

Mais, dans l’histoire de la Fête du Travail, le rôle de Peter Mc Guire reste contesté.  Beaucoup croient que c’est Matthew Maguire, un machiniste, plutôt que Peter Mc Guire, qui, le premier, proposa l’organisation de cette fête.  Des recherches récentes semblent soutenir la controverse que Matthew Maguire, qui deviendra plus tard secrétaire de l’Association internationale des machinistes de Paterson, New Jersey, proposa ce jour en 1882, alors qu’il était secrétaire du syndicat central à New York.  Ce qui est clair, c’est que le syndicat central adopta une proposition de «Labor Day» et nomma un comité pour prévoir une manifestation avec un pique-nique ladite année.

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Au Canada, la fête du Travail, instituée en l’honneur du mouvement ouvrier, est un jour férié légal qu’on célèbre le premier lundi de septembre dans tout le pays.  L’apport du mouvement ouvrier à la société canadienne est reconnu depuis 1872, année où des défilés et des rassemblements se tinrent à Ottawa et à Toronto.  On y célébra le Premier Mai, une fête printanière, pendant quelque temps, mais le besoin de jouir d’une fin de semaine prolongée à la fin de canadal’été, ressenti partout en Amérique du Nord, amena le Parlement à proclamer la fête du Travail en 1894.  Par exemple, au Québec, les grandes centrales syndicales, ainsi que quelques partis et organisations de gauche, manifestent toujours le premier mai.  Plus récemment, les institutions syndicales québécoises eurent tendance à célébrer la Fête des travailleurs par des rassemblements festifs le samedi ou le dimanche précédent ou suivant le premier mai, plutôt que la journée même, lorsque celle-ci tombait un jour ouvrable.  Cette pratique indique un accommodement qui s’intègre de plus en plus aux pratiques syndicales québécoises et aux impératifs du marché du travail.  Malgré cette nouvelle tendance, des manifestations, des collectifs et des organismes anticapitalistes organisent scrupuleusement une démonstration le premier mai de chaque année.  En outre, dans cette province, traditionnellement, lorsqu’il y a une augmentation du salaire minimum, elle devient effective le premier mai.

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En France, dès 1793, une fête du Travail est fixée le premier pluviôse (donc, en janvier), et Fabre d’Églantine l’institua pendant quelques années.  Dans ce pays, en 1867, au Familistère, Godin de Guise fit naître la fête du Travail.  Jean-Baptiste André Godin venant tout juste d’achever la rédaction de «Solutions sociales», la date de la manifestation ne fut pas encore arrêtée au premier dimanche de mai, mais, plutôt, au 5 juin.  Elle est toujours célébrée aujourd’hui.  Ainsi, au début du XXe siècle, il devient habituel, à l’occasion du premier mai, d’offrir un brin de muguet, symbole du printemps, en Île-de-FranceFrance. Une tolérance de l’administration fiscale permit aux particuliers et aux organisations de travailleurs de vendre les tiges de muguet sans formalités ni taxes.  Puis, le 23 avril 1919, le Sénat français ratifia la journée de huit heures et fit du premier mai suivant une journée chômée.  Le 24 avril 1941, le maréchal Pétain instaura officiellement le Premier Mai comme «fête du Travail et de la Concorde sociale».  À l’initiative de René Belin, ancien dirigeant de l’aile anticommuniste de la CGT (Confédération Générale du Travail), devenu secrétaire d’État au Travail dans le gouvernement de François Dalan, ce jour devint chômé.  La radio ne manqua pas de souligner que, ainsi, le premier mai coïncidait avec la fête du saint patron du maréchal, saint Philippe. C’est alors que l’églantine rouge, associée à la gauche politique, fut remplacée par le muguet.  Enfin, dans ce pays, c’est en 1947 que le premier mai devint, de droit, un jour férié, chômé et payé pour tous les salariés sans conditions, sans être officiellement désigné comme fête du Travail.  Ce n’est que le 29 avril 1948 que le gouvernement officialisa la dénomination de «fête du Travail» pour le premier mai.  Encore aujourd’hui, beaucoup de gens de la gauche voudraient que la fête du Travail redevienne la fête des Travailleurs, refusant la mesure de Pétain.  En revanche, l’églantine rouge, d’origine révolutionnaire, n’est plus vraiment une revendication, d’autant plus que la vente libre du muguet, ce jour-là, donne l’occasion aux syndicats de rencontrer la population et de faire connaître leurs activités et leurs revendications.  Quoi qu’il en soit, le premier mai, des manifestations syndicales ont lieu dans les grandes villes de France, la plus importante d’entre elles se déroulant, traditionnellement, à Paris.

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Au Royaume-Uni et en Irlande, cette célébration est décalée le premier lundi de mai. En Australie, elle est fêtée à différentes dates proches du printemps ou de l’automne.   En Allemagne, premier mai est chômé. Les citoyens ont l’habitude de porter un œillet rouge à la boutonnière pour marquer la fête du Travail.  Cette tradition remonte au premier mai 1890 alors que, pour répondre à l’appel de la Deuxième Internationale, malgré l’interdiction de imagesmanifester prévue par la «Sozialistengesetz», les militants avaient décidé de se retrouver dans des parcs en portant cette fleur en signe de reconnaissance.  Plutôt délaissé en République fédérale d’Allemagne, ce symbole était très utilisé en République démocratique allemande, notamment dans les organisations de jeunesses.  Le premier mai donne aussi lieu à des réjouissances en l’honneur du printemps, selon le rite ancestral de l’«arbre de mai», que l’on retrouve dans différentes régions d’Europe.  Victor Hugo a composé un très beau poème en l’honneur de cette fête printanière.  En certains endroits, comme à Stuttgart, les enfants profitent de la nuit précédant le premier mai pour se livrer à des plaisanteries qui rappellent l’Halloween.  En Indonésie, on a commencé à célébrer la fête du Travail en 1920, soit à l’époque coloniale.  Sous le régime Suharto, le gouvernement considérait le fait de fêter le Premier Mai comme une activité subversive. Depuis la démission de ce général, en 1998, les syndicats célèbrent de nouveau le Premier Mai, mais il ne s’agit pas toujours d’un jour chômé.  En Israël, nul ne pense à chômer le premier mai.  Officiellement, autrefois, la Chine célébrait la fête du Travail pendant trois jours, sauf depuis 2008, alors que les travailleurs n’ont que le premier mai pour célébrer.  Cependant une grande partie des magasins restent ouverts.

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Le Vietnam et la Corée du Nord, des pays communistes ou socialistes, s’inscrivent dans la tradition ouvrière du premier mai chômé, extreme-orientintroduit par la Deuxième Internationale.  En effet, le Parti Unique s’y retrouve politiquement et symboliquement.  Quant à la Corée du Sud, plus ouverte aux influences extérieures, elle reste l’un des seuls pays asiatiques à donner au Premier Mai le même symbole démocratique que les Occidentaux donnent à la fête du Travail.  C’est bien différent au Japon, où on célèbre la fête du travail (勤労感謝の日, Kinrō Kansha no Hi) le 23 novembre par un jour férié.  Ce jour de congé fut établi en 1948 afin de louer le travail et de célébrer la production.  Avant ce jour, le 23 novembre était considéré comme une fête de la moisson impériale appelée «Niiname-sai» (新嘗祭).

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