LE JEU INCONSCIENT DU SCEPTIQUE

   Le scepticisme désigne, diversement, l’état d’esprit incrédule qui amène à douter de tout, à refuser d’admettre quoi que ce soit sans examen critique, à se défier des opinions et des valeurs reçues, à manquer de confiance dans la parole des autres, à considérer comme impossible la réussite d’une entreprise, à écarter un fait même évident, sous prétexte que tout est relatif ou que la raison ne peut acquérir aucune certitude.  Cet état peut conduire, progressivement, au doute systématique.  Or, en tout, le doute retient d’agir, pouvant causer plus de tort que la foi, en empêchant de réaliser ses rêves, de combler ses aspirations, même de collaborer à l’expansion de la conscience, qui fait tellement défaut dans le monde, retardant d’autant son salut.

   La foi aveugle des religions n’a sauvé personne, mais le doute divise les consciences, sépare les êtres, entrave l’action.  On peut douter de ce qu’on ne parvient pas à se prouver, mais il faut au moins essayer d’en faire la preuve avant de le nier.  D’ailleurs, on peut échouer dans la tentative de se donner une scepticismepreuve par erreur de technique.  Croire sans voir, c’est absurde. Mais ne pas essayer de voir, c’est purement de la bêtise.

   En lui-même, le doute systématique, celui des sceptiques, confine à l’intolérance et devient diviseur.  D’autant plus qu’il peut souvent servir au jeu de l’avocat du diable, à masquer la paresse intellectuelle ou à éviter de réviser sa conduite personnelle    Mais le doute rationnel et sincère représente un réflexe sain et il comporte des avantages : il permet d’analyser ses croyances pour en évaluer le degré de certitude.  Ainsi, il permet d’approcher de plus près sa vérité personnelle et de lui rester fidèle.

   Dans le contexte évolutif, chacun porte une vérité qui trace le sentier par lequel il peut accéder à la Grande Vérité.  La vérité des autres, mal intégrée, déforme et dépersonnalise, car elle écarte de sa propre vérité et, du même coup, de son sentier.  Au niveau contingent, l’erreur serait de croire qu’il n’existe qu’une vérité ou qu’un seul point de vue qui puissent être admissibles.  Dans la vie de Jésus, Thomas n’a-t-il pas illustré la valeur du doute sans s’attirer les foudres de son Maître?  Il a validé le droit naturel de tout être libre, doté de raison, de se permettre de bien voir pour mieux croire.

   À notre avis, il n’y a que ceux dont la foi est fragile comme un château de cartes qui craignent les remises en question.  Toute personne a le droit d’accéder à la vérité qui transcende les croyances.  La juste discrimination permet de faire pénétrer en soi de l’air frais et de s’adapter à son temps.  En acceptant de considérer le point de vue d’autrui, on se permet de faire un bond dans l’inconnu et de pousser plus loin sa propre vérité.

   Pour ce qui a trait aux principes qui peuvent mettre en cause son évolution, l’être humain ne doit jamais croire en ce qu’il ne peut concevoir ou se démontrer.  C’est avec des certitudes uniquement qu’il peur se réaliser.  Alors, souvent, avant de passer à l’action, il devra plutôt chercher à savoir, obtenir une certitude plus ou moins absolue.  Car, dans le langage métaphysique, il y a toute une différence entre «savoir» ou «connaître» et «croire».

   Pourtant, quel beau rôle ils se donnent, les sceptiques professionnels!  N’ont-ils pas choisi de ne croire et de n’accepter uniquement ce que la science peut démontrer et de refuser tout le reste?   Dans ce choix, ils forcent ceux qui admettent des réalités subtiles à leur en faire la démonstration, se croisant les bras pour le reste, laissant l’essentiel de la besogne évolutive aux autres.  Ainsi, en esprit et en conscience, ils ne peuvent évoluer qu’au gré de la science ou des démonstrations concrètes, tangibles et palpables.  Robert Kempt a dit, à ce propos : «Le scepticisme est la plus facile des philosophies.»

   Mais le choix des sceptiques est d’autant plus étrange, insidieux et odieux qu’il ne leur reste qu’à mener leur petite vie,  se contentant de critiquer autrui et de contester leurs allégations, de ci de là, au gré de leur humeur, sur un ton d’autant plus arrogant et méprisant qu’il est péremptoire et sans appel.  Ce sont des paresseux spirituels qui tentent de forcer les autres à intervenir à leur place, à faire leur propre travail.  Car la démonstration d’un autre peut toujours rester questionnable dans les moyens auxquels il peut recourir pour la démontrer.  On connaît les trucs des magiciens qui paraissent si crédibles jusqu’à ce qu’on reçoive en confidence le secret de leur prestidigitation de la part d’un traître de la profession.  Ainsi, seule la démonstration personnelle peut conduire à la certitude.

   N’empêche que, par la suite, sur leurs blogs, dans un délire de commentaires loufoques et superficiels, qu’ils se partagent entre membres inscrits ou abonnés, des suppôts ou des zélateurs de la même secte, réunis par un dénominateur commun, le mépris de l’invisible, ils se permettent, à qui mieux-mieux, de se payer la tronche de leur malheureuse victime.  Eux, même s’ils sont incultes, n’ont pas de manières et ne savent pas écrire, ils ont tous les droits : la diffamer, proférer des insultes et des invectives à son endroit, ironiser, tenter de la rabaisser et de la ridiculiser, la citer hors contexte, proférer des approximations, émettre des préjugés, généraliser, procéder à des amalgames, recourir à la démagogie, même s’ils ne la connaissent ni d’Adam ni d’Ève.  Dans un monde dépourvu de valeurs supérieures, tout devient permis.  La devise du monde devient : au plus fort la poche!

   Ces gens ne comprennent pas qu’ils se discréditent par leur manque de respect, leur refus de la dissidence — un droit qu’ils s’arrogent pourtant avec force — et leur mépris de la différence.  Ils ne reconnaissent qu’une vérité, la leur.  Ils se regroupent parce que, dans la force du nombre, ils se rassurent, trouvant leur vérité dans leurs croyances communes, non dans la vérité des vérités.  Car ils ne savent pas que les causes d’une réalité sont toujours invisibles à l’œil et que, à l’inverse, les démonstrations concrètes ne surgissent que d’une étude des phénomènes, des symptômes ou des apparences.  Par exemple, démontrer l’existence d’un élément chimique dans un produit ne dit rien de son rôle dans l’Économie cosmique ou dans la Manifestation universelle.

   À ce jeu, ils resteront longtemps dans leur ignorance crasse, s’empêchant d’évoluer, parce que jamais un être qui sait n’acceptera de se mesurer à eux, de subir leur contestation, ponctuée de sarcasmes.  Il n’a pas mis des années de recherche à se rapprocher de la Vérité pour se faire, de façon vaine et stérile, mettre au pilori.   En effet, dans son rapport avec eux, le sage devrait s’astreindre à un rôle d’autant plus fastidieux qu’impossible : celui de jouer au voyant appelé à expliquer les couleurs d’un arc-en-ciel à un aveugle de naissance qui s’est toujours terré, depuis son premier jour, dans une caverne, en l’unique compagnie de ses semblables.  Comme il y a des réalités qui ne se démontrent pas et qu’il n’a pas de temps à perdre dans la confrontation, il les garde pour lui.

   Car un sage n’acceptera jamais d’étaler ou de démontrer son savoir à autrui, sachant qu’il ne peut résumer en quelques moments les découvertes d’une existence.  Plutôt, il se contentera de le partager, avec ceux qui le désirent et s’en donnent le temps, pour que, à partir de ses enseignements, avec le temps, ils puissent se donner eux-mêmes les démonstrations qu’ils souhaitent obtenir.  Et c’est la patience, le courage et la persévérance dans ce domaine que les sceptiques, généralement des athées, des agnostiques, des épicuriens ou des hédonistes, n’ont pas, à titre d’attardés évolutifs, de parasites de l’humanité et de paresseux congénitaux.

   Ainsi, dans leur croyance que, tout étant incertain, tout doit êtres soumis à la méthode scientifique, ils se placent dans un cercle vicieux.  Ils vivent dans leur tête, siège de la raison, mais loin de leur cœur, source de l’intuition, qui en pondère les excès.  Surtout, refusant d’emprunter le sentier par lequel l’autre est passé, pour comprendre de quoi il parle ou pour obtenir ses preuves personnelles, ils préfèrent le ridiculiser, y trouvant un motif psychique valable supplémentaire de s’abstenir de le parcourir.   Ils devraient retenir cette révélation pour se rappeler qu’un être qui accepte de se soumettre à leurs tests et épreuves ne peut être qu’un charlatan, un imposteur ou un apprenti-sorcier, soit, au mieux, un être aux facultés à moitié éveillées encore largement mené par l’ego.  Il ne maîtrise ses principes et ses moyens que dans des situations optimales qu’il ne trouve plus en leur présence.

   Mais les sceptiques sont souvent les hérétiques des hérésies d’autrui, mêmes s’ils se montrent souvent plus sûrs d’eux que le sage qui, jusqu’à la fin, reste rempli de doute, malgré les preuves nombreuses qu’il a accumulées.  Ce qu’on peut apprécier de leur existence, c’est que, par leur esprit critique, ils protègent la société contre la crédulité, qui est dangereuse, mais toujours trop prompte, chez les gens du peuple.  En outre, ils empêchent les chercheurs de fonder le sens de la vie sur des absolus.

   Car il faut toujours se méfier de celui qui prétend avoir trouvé la Vérité des vérités.  La bonne foi et l’intégrité d’un être ne doivent pas, à eux seuls, entraîner dans l’incurie et l’imprudence.  En tout, il faut recourir à la sagesse du serpent et à la prudence de la colombe.  Toutefois, si, à moins d’impossible, on ne doit pas mettre sa vie entre d’autres mains, il ne faut pas davantage le faire avec les sceptiques, à moins qu’ils aient la sagesse de reconnaître une valeur à l’expérience et à la vie.  Le refus de pécher par naïveté ne doit pas confiner au scepticisme systématique qui devient, par la paresse mentale, un suicide de la raison.

   Un jour Nicolas Hulot a dit : «Chaque jour que nous cédons au scepticisme ou à l’immobilisme nous rapproche de l’impasse planétaire.»  Un peu dans la même veine, nous croyons que les premières qualités d’un chercheur spirituel restent le maintien de l’espoir et la confiance en lui-même qui l’amènent à dépasser le scepticisme de son entourage et l’ironie facile des sceptiques de tous acabits.  Dans tous les domaines, rien ne vaut l’expérience personnelle.  Si le doute permet de rester près de sa vérité, le doute systématique entraîne dans la perversion de la nature humaine.

   Dans ses diverses manifestations, le doute désigne l’état d’incertitude par rapport à la réalité d’un fait, à l’exactitude d’une déclaration, à la vérité d’une assertion, à la certitude de l’existence d’un être, à la validité d’un principe, à la conduite à adopter dans une circonstance particulière.  Il exprime une démonstration de retrait et il traduit l’état d’esprit de la personne qui refuse son adhésion à des croyances ou à des affirmations généralement admises.  Il représente la disposition ou la propension à croire rien d’autre que ce qu’on a appris, senti ou expérimenté dans le monde physique, ce qui maintient dans un cercle vicieux qui rend inapte à se dépasser.  En philosophie, le doute est exalté par le scepticisme, la doctrine qui soutient que la vérité absolue n’existe pas et que, en conséquence, il faut suspendre son jugement.

   Le doute peut rendre bien des services, mais il peut devenir l’un des pires dissolvants psychiques.  En effet, il peut mener à manquer de confiance dans la sincérité de quelqu’un, dans la vérité d’une énonciation ou dans la réalisation de quelque chose.  Surtout qu’on oublie d’y voir un problème qui provient de soi, non d’un autre.  Comme la peur, l’indécision et la tension, il retarde ou annule ce qu’on appelle à se manifester dans la vie.

   Le doute est particulièrement néfaste en matière de créativité, notamment dans les affirmations créatrices, puisque, lorsqu’un être sème une graine dans le bon terreau, il doit éviter de s’amuser à la déterrer à tout moment pour vérifier si elle pousse, s’exposant à la tuer : il serait préférable qu’il fasse confiance à la terre qui sait la nourrir.  Celui qui doute dessèche ses semences en les exposant au soleil trop cru de son intellect.  Comme on le sait, l’intuition sème le bon grain, mais l’intellect sème l’ivraie.  En spiritualité, on dit que le doute renforce l’intellect et l’ego.  Il serait en lien avec la raison, qui s’oppose apparemment à l’intuition, ce qui rendrait l’être d’autant peu intuitif qu’il est rationnel.  Ainsi, il y aurait un juste équilibre à maintenir entre ces deux facultés – la raison et l’intuition – pour saisir le déroulement de la vie dans toute son ampleur.

   Le doute s’engendre dans l’esprit, commençant par un murmure de suggestion qui s’amplifie, si on n’y prend garde, jusqu’à devenir refus complet ou reniement total.  À l’extrême, entièrement dénué de foi, il rejette tout bien et il renie le Créateur, enlevant toute place à l’espoir et toute possibilité d’accéder à la sérénité.  Il forme les intellectuels, qui, dans l’excès du raisonnement, deviennent des rationalistes, des sceptiques, des agnostiques et des athées.  Cet ennemi intime ruine spirituellement puisque, empêchant de garder l’esprit ouvert à tout, il mène au péril.  Il limite l’œuvre de l’Esprit, le coinçant, paralysant sa pleine expression et retardant son rayonnement.

   Ainsi, le doscepticismeute peut réduire les possibilités de croissance et d’expansion, emprisonnant dans un monde dense, sombre et étroit, marqué par la dualité, empêchant d’atteindre ce qui dépasse les sens et l’entendement.  Il contamine les esprits limités, ouvrant un abîme de douleur et de souffrance, réprimant toute possibilité d’entendre la voix intérieure qui témoigne de l’existence de Dieu.  Il trouve son antidote dans la confiance et l’acceptation.  À l’extrême, il peut faire incliner vers la mort, acculant à l’esprit suicidaire.  Car, si la vie n’a d’autre sens que celui qu’on peut se démontrer de manière tangible, à quoi sert-il de vivre, surtout dans les moments de grandes épreuves ou de grandes tribulations?  Un monde dépourvu de valeurs spirituelles offre peu d’attraits.  Mais s’il est compris comme un champ d’expérience qui mène à la Maîtrise totale, le jeu en vaut la chandelle, comme on dit.

   N’empêche que le doute détient ceci de bon qu’il permet d’affirmer sa différence et de rester près de sa vérité.  Il n’y a jamais de mal à douter si cet acte cherche à amplifier une lumière.  Ainsi, paradoxalement, le doute peut mener à la foi, non à la foi religieuse qui propose de croire sans voir, mais à la foi spirituelle qui se définit comme la certitude d’une réalité parce qu’on se l’est démontrée à suffisamment de reprises pour savoir avec assez de sûreté de quoi elle retourne et en rendre le recours sécuritaire ou parce qu’on en a suffisamment vibré pour savoir.

 

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