LA POLITESSE PEUT AUTANT DÉVOILER UNE ÂME VILE, TIMORÉE, SERVILE ET FLAGORNEUSE QU’UNE ÂME NOBLE, ARDENTE, AUTONOME ET DÉLICATE…

Le mot «politesse» vient du mot latin «politus» qui signifie «uni», «lisse» ou «brillant», démontrant qu’elle vise à aplanir les mœurs ou, comme on dit, à les policer.   La politesse désigne l’ensemble des règles de bon goût et de savoir-vivre en usage dans une société ainsi que le respect de ces règles de manière à éviter de faire des vagues en public, de détonner et, du coup, de vexer, de gêner, d’intimider.  La politesse, faite de nombreuses règles — comme saluer une personne connue qu’on rencontre, remercier d’un bienfait ou d’un service, demander avec des «s’il-vous-plaît», sourire à son interlocuteur, céder le passage à upolitesse-et-bonnes-manièresn virage prioritaire, adapter sa tenue vestimentaire aux circonstances — est définie par un code que chacun apprend au cours de son éducation.  On dit qu’elle comporte une double finalité : faciliter les rapports sociaux en permettant à ceux qui en usent d’avoir des échanges respectueux et équilibrés ; faire la démonstration de son éducation et de son savoir-vivre.  Autrement dit, à défaut de savoir se comporter avec conscience, on s’impose des balises stratégiques astucieuses, souvent peu sincères.

Sporadiquement, des auteurs se chargent de formaliser des règles, qui ne peuvent que changer avec le temps, et les rassembler dans des traités dits «de civilité», un mot qui est devenu «savoir-vivre».  Au stade actuel de développement de l’Humanité, les règles de politesse peuvent trouver une certaine légitimité dans la mesure où elles favorisent l’harmonie entre les êtres, leur rappelant les rudiments de la civilité, de la fraternité, de la solidarité humaine.  Mais si elles révèlent du besoin d’affirmer d’abord une culture, une éducation, l’appartenance à un groupe, elles fomentent l’esprit de séparativité, d’où elles éclairent un dressage arbitraire, donc suranné.

Ne peut-on pas croire que l’étiquette ne peut jamais s’exercer au détriment de la simplicité, de la spontanéité, de l’originalité, du naturel, empêchant un être de rester pleinement lui-même en toute occasion?  Elle ne doit pas l’empêcher de se présenter tel qu’il est, d’affirmer sa vérité nue, de prendre sa place.  Toute règle de bienséance qui contreviendrait à ces éléments sains de l’expression de soi se désavouerait d’elle-même.

 La politesse se présente comme une règle qui veut s’imposer à la majorité et comme un mode de vie qui cherche à assimiler ceux qu’on considère comme marginaux ou anormaux à une moyenne, histoire de s’éviter des problèmes où il faudrait intervenir.  Une trop grande politesse, qui contraint, devient un carcan qui, maintenant dans le conformisme et tuant la spontanéité, cache de l’hypocrisie, beaucoup d’angoisse, un puissant potentiel agressif latent.  C’est comme l’homme trop galant avant le mariage, il cache quelque chose qui est souvent le contraire, notamment le sexisme.  Le concept de comportement que dissimule le mot bienséance inhibe nombre des plus grandes joies, car il implique que quelqu’un d’autre que soi puisse dicter les normes de ce qui devrait maintenir l’harmonie.  Être convenable, c’est, en général, cacher ce que l’on est vraiment.

On ne peut le nier, la société a inventé la bienséance pour éviter d’être dérangée dans son bien-être et dans ses stéréotypes.  Elle est d’autant plus structurée qu’une société se sent menacée dans ses fondements et la revalorise pour compenser ses faiblesses.  Quant à la personne qui réclame le respect, elle signale par le fait même qu’elle ne se respecte pas elle-même et qu’elle tente d’imposer aux autres une conduite pour se sentir moins menacée dans sa fragilité, sa vulnérabilité.  On ne peut donner ce qu’on n’a pas, comme on ne peut attirer ce que l’on ne porte pas en soi.

En général, la personne trop attachée aux rituels de la politesse recourt à un moyen de défense subtil pour échapper à toute critique en tentant de se faire bien voir.  Elle cherche forcément à masquer une grande tare personnelle qu’elle est portée à projeter sur les autres.  Il y en a qui vont si loin qu’ils sentent le besoin de justifier leur présence en public ou de s’excuser pour le moindre dérangement.

Lanza Del Vasto se moquait un peu de cette manière de faire des courbettes en ces mots: «La politesse est une contrainte à laquelle ne peut échapper aucune personne qui veut se maintenir quelque peu dans le monde, et comme, par ailleurs les sourires et les bonnes grâces n’y représentent aucune manière de sentiment fraternel ou charitable, il est naturel que l’on se venge de la comédie qu’on est obligé de jouer devant les gens en disant d’eux, derrière leur dos, tout le mal que l’on en pense, et pis.»

Toute vérité doit se dire, ce que la politesse ne peut empêcher, sous prétexte d’éviter les vagues, car le fait de d’exprimer son point de vue clairement, qui est un signe d’authenticité, permet aux autres de rapidement se situer par rapport à la pensée ou aux sentiments d’un autre.  Car il est interdit d’interdire ou d’imposer à un être libre qui doit apprendre par lui-même ce qui convient et disconvient.  Quant aux courbettes flatteuses, elle ne débaise-mainmontre que la faiblesse du soumis qui, en flagorneur, vit aux dépens de ceux qu’il encense et dont il mendie l’indulgence.  En voulant organiser un univers rassurant et prévisible, la politesse développe des relations artificielles.  Grâce à elle, un être devrait toujours savoir ce qu’il doit faire ou éviter, ce qu’il doit dire ou retenir, comment il doit réagir ou s’abstenir d’agir de manière à ne jamais avoir à improviser.

Car la politesse enseigne comment se situer par rapport à autrui en toutes circonstances, amenant à ne pas s’adresser à un patron ou à une personne âgée comme à un compagnon de toujours.  Elle apprend notamment le respect de soi qui consiste à rester propre, à toujours se vêtir de manière convenable, à parler d’une manière intelligible et claire pour l’entourage.  Elle invite encore au respect d’autrui qu’il faut éviter de gêner par des sons bruyants, son manque de tact, de discrétion, son inclination à proférer des remarques désobligeantes, à exprimer son désaccord de façon impérieuse ou blessante ou à s’abstenir de monopoliser les conversations.  Elle contraint à manifester des signes d’intérêt aux personnes que l’on côtoie, à leur adresser des compliments, à recevoir dans les formes, à faire preuve de bienveillance en leur proposant des services, même si on n’en a pas toujours envie.  Elle suggère de rendre une invitation, d’éviter d’abuser du temps d’autrui, de prévenir avant de se présenter chez quelqu’un, à moins d’impossible, et à éviter la familiarité choquante.

Mais ses règles servent aussi à ranger dans une classe sociale, chaque groupe culturel détenant ses propres normes qui aident à reconnaître rapidement les siens et à repérer tout aussi promptement l’étranger.  Il peut y avoir du plaisir à former un groupe plus ou moins homogène et solidaire, mais cette fermeture peut aussi devenir un moyen de s’isoler des autres ou de les écarter, ce qui, par la division que cela implique, devient une transgression à la loi de l’Unité des êtres.

Ainsi, ne devient-il pas hypocrite de retenir ce que l’on pense et déformateur de se retenir de ce qu’on a envie de faire, sous prétexte d’échanger des bons procédés, dans l’espoir d’éviter que la loi de la jungle triomphe?  À toutes ces règles factices, si bien codifiées, ne vaut-il pas mieux se présenter avec courtoisie, ce sens des valeurs qui émane du cœur et qui invite à appliquer la loi de l’amour qui implique les normes de la solidarité, de la fraternité, du respect d’autrui, avec les principes de la non-ingérence et de l’innocuité?  Autrement dit, ne vaut-il pas mieux accomplir un acte par amour plutôt que par la contrainte de codes arbitraires et fluctuants?

N’empêche que, nos sociétés sont encore loin d’avoir atteint leur maturité, comme l’indique le recours à la violence, notamment à la guerre.  D’où il faut y maintenir l’harmonie par des règles de bienséance ou de bon usage.  Ainsi, certaines convenances peuvent servir ce but, notamment la courtoisie, tant que le niveau de la conscience générale n’est pas suffisamment élevé pour que les valeurs de chacun les dissuade de dominer les autres, de les contrôler, de les parasiter, de les exploiter ou de les manipuler.

Mais chacun doit éviter de perdre de vue que ces règles restent des critères arbitraires et artificiels qui ne doivent jamais dispenser du devoir de rester lui-même, de suivre sa propre voie, d’exprimer la vérité en toute circonstance.  Par exemple, certains diront que toute vérité n’est pas bonne à dire ou qu’elle est ou que la vérité est bonne à dire, mais qu’il faut y mettre les formes.  Croire que l’harmonie résulte de la contrainte, c’est s’exposer à ce que, par frustrations accumulées, l’ordre qu’on tente de maintenir soit tôt ou tard perturbé par des rebelles ou des révolutionnaires.

En effet, dans un groupe, l’harmonie ne résulte pas du fait que chacun évite de faire des vagues ou prévienne que les autres en fassent, mais du fait que, chacun acceptant de faire des vagues et de laisser les autres faire de même, chacun sera clairement informé des positions personnelles respectives de chacun et des limites qu’elles comportent. Ainsi, chacun n’aura qu’à bien se tenir.  Car, par nature, toute vérité reste bonne à dire et doit être dite, dans l’immédiat, comme elle veut s’exprimer.

D’autre part, le bien commun ne doit pas prévaloir sur le bien particulier, mais s’harmoniser avec lui.  Mieux dit, le bien commun et le bien particulier doivent mutuellement se compenser ou s’équilibrer.  Essentiellement, le bien commun n’a pas plus de valeur que le bien particulier et, pour prévenir les abus de l’individualiste, le bien particulier n’a pas plus de valeur que le bien commun.

Tout compte fait, un être devra reconnaître que, dans la majorité des cas, une société édicte des critères de conduite pour se simplifier la vie, pour protéger la susceptibilité de good-mannersses membres, encore remplis d’amour-propre, ou pour établir des distinctions entre eux.  Au fond, elle tente maladroitement d’écarter les conflits potentiels qui pourraient surgir dans les consciences immatures ou chez ses sujets plus ou moins gravement affligés de cécité spirituelle.

Dans un monde où les valeurs sont temporairement en chute, les codes d’honneur bafoués, la loi du moindre effort prônée, l’importance de l’individu sublimée, les règles de politesse peuvent encore trouver une fonction régulatrice, surtout si elle forme à la distinction et au raffinement.  Mais ces critères ne doivent jamais devenir contraignants au point de masquer la vérité, de brimer la liberté individuelle, d’établir des classes d’individus, de freiner la loi de l’Évolution.

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