LA MÈRE, L’ÉVEILLEUSE DE L’ÂME…

«Et une femme qui portait un enfant dans les bras dit,
Parlez-nous des Enfants.

Et il dit :
Vos enfants ne sont pas vos enfants. mère
Ils sont les fils et les filles de l’appel de la Vie à elle-même.
Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.

Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,
Car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes,
Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos rêves.
 
Vous pouvez vous efforcer d’être comme eux, mais ne tentez pas de les faire comme vous.

Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s’attarde avec hier.

Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés.
L’Archer voit le but sur le chemin de l’infini, et Il vous tend de Sa puissance pour que Ses flèches puissent voler vite et loin.
Que votre tension par la main de l’Archer soit pour la joie ;
Car de même qu’Il aime la flèche qui vole, Il aime l’arc qui est stable.»
  (Khalil Gibran, Le prophète)

   Loin de nous l’idée de nous présenter comme une compétence en matière de relations familiales et d’éducation infantile.  Mais il ressort quand même des traits dominants de l’homme et de la femme, qui deviennent père et mère, même s’ils sont moins évidents, avec la montée du nombre des familles monoparentales.  Comme il est évident qu’il existe une complémentarité entre leurs attributs respectifs.  Ainsi, nous pouvons probablement affirmer, sans choquer, que la femme, plus que l’homme, est le temple qui accueille la vie et lui permet de s’épanouir selon le modèle qu’elle lui présente.  Serait-ce pour rien qu’elle doive compléter dans son propre corps la gestation de l’embryon qui résulte de la rencontre d’un spermatozoïde et d’un ovule pendant que l’homme n’y a pris, à peu près, que du plaisir?

   C’est sûrement ce qui explique que, en général, dans les couches populaires, il est dit que, pour s’accomplir, un enfant a besoin de la tendresse d’une mère et de la fermeté d’un père, ce qui l’aide à équilibrer les aspects de sa polarité et, en conséquence, à croître dans l’ordre et l’harmonie, dans un juste milieu qui écarte des abus ou des excès.

   N’est-ce pas dire que la mère détient un rôle très important, si on ne le dit pas majeur, dans le développement et l’éducation d’un enfant, surtout dans les premières années de sa formation, car n’est-ce pas d’abord elle qui, par ses qualités propres, peut le mieux organiser l’ambiance de la vie familiale?  Comme elle accueille facilement l’amour, elle sait donner l’amour avec la vie.  Ainsi, normalement, l’enfant peut s’attendre de recevoir d’elle, en premier, de l’amour, ce qu’elle peut colorer par sa réceptivité, sa tendresse, sa douceur, sa patience, son indulgence, son aptitude à l’écoute.  Car elle sait nourrir, nettoyer, cajoler, prendre soin, soigner, apaiser, rassurer, encourager, relever, éteindre les conflits, veiller sur chacun des membres de la famille.

   Pour l’enfant, la naissance représente sa première séparation, une souffrance qui, dans l’immédiat, peut être largement compensée, pour le sécuriser, par le degré de symbiose de sa mère avec lui.  C’est alors que, pour le meilleur ou pour le pire, celle-ci peut jouer un rôle déterminant dans son processus d’individuation, ne serait-ce qu’à titre de modèle, surtout dans le cas d’une famille monoparentale où la composante de la complémentarité peut faire défaut.  Toutefois, celle-ci peut être largement compensée par la manière dont elle le portera vers les autres membres de la famille, vers la gent masculine et la société ambiante, pour préparer la séparation inévitable.  Car un excès d’affection et de maternage pourrait devenir captatif, possessif, engluant, étouffant, voire inhibant pour un enfant de sexe féminin et castrant pour un enfant de sexe masculin.

   C’est ce qui se produit lorsqu’une mère surprotège son  enfant, le choie à l’excès, se mêle de tout faire à sa place, tentant de le protéger contre le moindre danger, car elle l’empêche alors de développer sa maturité, de grandir, de s’assumer, d’exerces ses responsabilités.  Or il fait partie du rôle de la mère d’assumer, pour ainsi dire, la «défusion» progressive de l’enfant en coupant avec lui le lien psychique, comme elle a dû un jour accepter la coupe du cordon ombilical.  Même si cela n’est pas facile et répugne à sa nature profonde, il lui faut passer au sevrage puis à un écartement progressif qui incite son enfant à acquérir son identité propre.  Car, lorsque le cordon ombilical a été coupé, il n’est pas dit que le lien psychique l’est tout autant.  N’entend-on pas souvent une mère dire : «Quand on est mère un jour, c’est pour la vie.»

   Pourtant, il n’y a rien de plus faux.  D’une part, l’impérieux besoin de la femme d’enfanter et de materner n’est qu’un atavisme qui s’est développé à défaut d’avoir compris qu’elle devait d’abord enfanter d’elle-même, fusionner avec son aspect polaire complémentaire, en elle-même, si elle voulait devenir une mère vraiment aimante, plutôt qu’affectueuse, ce qui implique le véritable don de soi pour le bien de l’autre, plutôt que pour le sien, et le maintient de l’objectivité et du détachement.  Du reste, on découvrira un jour que nombre de maladies féminines, comme l’obésité, la chute des seins et la descente de la matrice, sont directement liées au degré de possessivité de la mère.  D’autre part, la mère – comme le père, du reste– n’a aucun droit sur son enfant puisqu’elle ne lui sert, par impossibilité d’entrer autrement dans le monde de la densité, que de canal d’incarnation.  Car, dans l’amour, ce n’est pas la proximité avec un être qui appelle à lui accorder des privilèges et des faveurs, par rapport aux autres êtres humains.  Cela relève plutôt du rôle fonctionnel d’un soutien évolutif particulier qui ne doit pas forcer à en faire un être plus cher que n’importe quel autre humain.

   Le problème du lien entre une mère et son enfant, c’est que cette relation devient plus passionnelle que rationnelle, diluant d’autant la possibilité d’exercer la sagesse qu’elle se fonde sur la possessivité et l’émotivité.  Ou que la mère en vient à se perdre dans son rôle, en venant à complètement oublier ses propres besoins et ses aspirations personnelles.  Car nul être, si démuni et dépendant qu’il soit, ne mérite qu’elle se donne intégralement à lui au point de s’en départir.  Cependant, une telle relation comporte toujours, consciemment ou inconsciemment, une part plus ou moins grande d’influence (pour ne pas dire de domination), avec une attente de dépendance permanente, de reconnaissance, d’assiduité dans les contacts, etc.  Pourtant un être ne peut se dire accompli que s’il se sent autonome et responsable, libre de ses actes et conscient de leurs conséquences.

   Ainsi, un parent qui aime vraiment son enfant, au lieu de lui vouer de l’affection, ne peut que souhaiter cet accomplissement dans sa liberté.  L’éducation doit se concevoir comme la lente préparation, par la transmission de connaissances, d’habilités, de moyens et de valeurs, incluant notamment la débrouillardise, de l’accès à l’indépendance de l’enfant et de sa rupture avec la cellule famille.

   À l’âge adulte, il existe chez son enfant des indices par lesquels une mère peut comprendre si elle a bien joué son rôle auprès de son enfant.  S’il l’appelle encore «maman», plutôt que «mère», elle sait qu’elle l’a infantilisé.  Si son garçon éprouve des difficultés relationnelles avec les autres femmes, celles-ci tournant généralement au conflit et à la séparation, elle sait qu’elle l’a castré.  Si sa fille devient matrone, tentant de tout régir partout et d’imposer la supériorité de la femme, elle l’a insidieusement écartée de son père ou de l’homme, l’empêchant de saisir le sens de la compatibilité et de la complémentarité.   Si son garçon cherche dans une autre femme ce qu’elle est elle-même, à son insu, elle l’a manipulé ou dominé, entretenant en lui son complexe d’Œdipe.

   Les Maîtres spirituels disent que, chez la femme ordinaire, la mère doit compter vingt et un ans de séparation complète avec son dernier enfant avant que le canal, qui sert de siphon entre son enfant et elle, se referme complètement.  L’influence de ce siphon d’énergie réversible se renforcerait avec le nombre des naissances.  Si elle entretient avec lui une relation trop intense, par exemple en favorisant le fait qu’il garde la maison familiale le plus longtemps possible, elle retarde le règlement de cette relation si particulière et son propre accomplissement spirituel.  Or, tant que cette séparation psychique n’est pas complètement opérée, la mère ne peut, par défaut d’autonomie, penser à refaire son plein d’énergie, ce qui ne peut que contribuer à améliorer sa santé et à retarder le vieillissement.

   Dans ce dernier cas, on fera observer que la mère peut compter sur une espérance de vie plus grande que le père.  Comme c’est un fait avéré, nous aurions tort de tenter de le nier.  Sauf que nous pouvons expliquer que cela tient, pour une part, de la mentalité propre de l’homme, plus extériorisé, qui, désœuvré et se sentant inutile, à partir de sa retraite, s’étiole rapidement.  Un étiolement qui s’accélère si, déjà, il souffre d’autres problèmes qui minent sa confiance en lui, comme la difficulté à performer sexuellement et à maintenir l’admiration de son épouse.  Pour une autre part, l’homme ne jouit pas, comme la femme, d’une pompe psychique réversible avec son enfant lui permettant subtilement de se ressourcer, peu à peu, à son insu et à son détriment.  La grossesse de neuf mois, à la quelle il faut ajouter, sur de nombreuses années, la symbiose qui résulte de la proximité de la relation de la mère à l’enfant, comporte quand même ses répercussions naturelles, qui peuvent autant devenir un avantage qu’un inconvénient, selon la maturité et la sagesse des êtres concernés.

   L’idéal, pour une mère, c’est de profiter du départ de la maison de chaque enfant pour récupérer son autonomie et son indépendance et commencer, tranquillement, à se refaire un deuxième printemps, en vivant eMother_copynfin ce que son rôle familial l’a empêchée de vivre jusque là.  Discrètement, elle doit particulièrement veiller à couper tous les liens invisibles avec eux, quitte à révéler fermement ses intentions, s’il se présente des résistances, pour récupérer ses droits.

   Tout bien pensé, qu’on soit un père ou une mère, le plus bel héritage que l’on puisse laisser à un enfant, c’est l’exemple d’une vie d’amour, de bonnes valeurs et un système D.  Les autres formes d’héritage, notamment l’argent, apportent généralement plus de division dans la famille, en plus d’attenter à la responsabilisation.  En outre, plus souvent qu’autrement, elles suscitent plus de dérision ou de dévaluation qu’on ne pourrait le croire de son vivant.  Lorsqu’un enfant reçoit un grand héritage, il ne peut que rire dans sa barbe, dans un mépris inconscient, du fait que ses parents n’aient pas su en profiter, préférant tenter de faire son plus grand bonheur, ce qui est rarement le cas  Car, quand on n’est pas habitué au luxe et à l’argent, on peut faire bien des gaffes de parvenu ou de nouveau riche!

   Alors pourquoi les parents ne profiteraient-ils pas des sommes qu’ils ont laborieusement accumulées pour finir leurs jours dans un plus grand bonheur au lieu d’exposer leur progéniture à certains abus en leur laissant, puisqu’ils ne lui doivent plus rien.  Après l’âge de seize ans en Orient et de dix-huit ans, en Occident, tout enfant devrait accéder à sa complète liberté, les parents dussent-ils l’expulser du nid familial, s’il le faut.  C’est un service amoureux à lui rendre pour en faire des citoyens exemplaires et des chercheurs spirituels motivés.  En ce bas-monde, si tous les gens partaient du même point, il y aurait moins de rivalités et d’arrogance entre les gens et les nations.

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