RIEN NE SERT DE COURIR, IL FAUT PARTIR À TEMPS…

La hâte n’offre aucun avantage, mais elle comporte nombre d’inconvénients.  Elle porte à s’activer, à vivre dans la tension et la fébrilité, à toujours craindre de manquer de temps, d’où elle amène à aborder la réalité de façon superficielle, inattentive ou brouillonne.  Pourtant, aucune haute réalisation ne requiert l’élément temps comme garantie du succès et il n’existe aucun raccourci sur la voie.  La hâte, reposant sur une angoisse, sur un désir de télescoper le temps, retarde sûrement l’empressé, sur la voie de la perfection, le conduisant à l’échec plus qu’à l’accomplissement.  Plus on vit dans l’activisme ou la fébrilité, plus on agit avec hâte et plus le dialogue entre le corps et l’esprit se fausse.  Pour bien diriger son univers, il faut ralentir sa pensée et ses gestes.  Ce qui, en montreprincipe, ne devrait pas poser de problème puisque chacun est un enfant de l’Infini.  L’Infini ne lui demande rien de plus que la sincérité et l’engagement à s’accomplir, l’invitant à faire au meilleur de sa compréhension avec ce qu’il a.

Lanza Del Vasto a fait remarquer: «L’avènement des machines et l’avantage même que nous en attendions: de gagner du temps, a eu pour effet, en accélérant les échanges et les transports, de répandre partout la hâte. Et pour peu que nous entrions dans le circuit des affaires, nous sommes du matin au soir traqués et persécutés par la précipitation et la crainte du retard. Sachons que la hâte est une des tentations de la grande ville, qu’elle est, tout autant qu’un autre vice, une manière de gâter sa vie et de perdre son âme. Ne perdons pas notre temps à nous dépêcher.»  Ces propos éclairants laissent entendre que chacun gagne à apprendre à élaguer de ses occupations et obligations qu’il se donne ou s’impose et qu’il doit savoir prévoir pour éviter les urgences.  Si un être sait trouver du temps pour manger, dormir, se laver, se parer, il doit tout aussi impérieusement se donner du temps pour réfléchir, planifier sa vie, méditer, se divertir, se détendre, se reposer, choisir les meilleurs moyens évolutifs.

La hâte révèle un désir de faire de grands sauts, d’arriver rapidement au terme d’une expérience, de trouver des raccourcis évolutifs.  Un contexte pousse le sujet à aller plus vite que son rythme normal, à agir avec impatience, à prendre des risques, à faires des pressions indues.  Ainsi, il empêche que les choses se développent ou progressent naturellement.  À un certain niveau, la hâte exprime un certain degré d’affolement par défaut de possession de soi et par manque de confiance en soi.  L’impatience est un signe de l’époque contemporaine.  La vitesse y est devenue le synonyme du progrès, de la performance, de la qualité… parfois de la valeur.  Dans un système de consommation, le matérialisme mène facilement à des engouements désordonnés et précipités.

Pourtant, pour être bonne et stable, la croissance doit procéder graduellement selon un processus naturel.  Chacun doit parcourir avec respect toutes les phases intermédiaires, car, au niveau de la maîtrise d’une expérience, chaque étape et chaque transition, nécessaires, gardent un sens.  Ainsi, il peut puiser, dans ce qu’il a l’habitude de regarder tous les jours, les secrets que la routine empêche de voir.  À vrai dire, chacun devrait marcher deux fois moins vite que son allure habituelle pour faire attention à tous les détails de son parcours, aux gens et aux paysages qui l’entourent.  Il devrait cesser de faire de cet exercice une torture, mais chercher du plaisir dans un rythme ralenti auquel il n’est pas habitué.  En effectuant d’une autre manière les gestes routiniers, il permet à un être nouveau d’émerger en lui.

La hâte n’est nullement, pour personne, le meilleur moyen d’arriver à un but, car, celui qui y parvient se rappellerait de peu de choses sur la façon qu’il s’y est pris pour le réaliser.  Il ne pourrait que ressentir vivement qu’il a perdu en maturité, en connaissance ou en compétence.  Chacun doit prendre le temps de réviser encore et encore chaque champ d’énergie de son monde intérieur sans avoir l’impression de stagner.  Il doit apprendre à prendre son temps sans se sentir coupable.  Son but ne doit-il pas être l’accomplissement de son être, l’activation ou l’actualisation de ses potentialités?  Chaque petit pas et chaque petit mouvement permettent d’avancer vers ce but, bien plus sûrement qu’à chercher à brûler les étapes.  De toute manière, à trop se hâter, un être s’expose à ce que sa volonté soit mise à l’épreuve et à ce que sa détermination fléchisse.

La hâte se fonde sur l’impatience, cette incapacité à supporter quelque chose, à se contraindre, à se retenir ou à attendre.  Et c’est le désir ou l’envie, cachés derrière un motif, qui exalte l’impatience.  Par elle, on veut tout et tout de suite.  Alors, pour satisfaire ses aspirations anarchiques, on court, on se hâte, on se presse, on se précipite, perturbant son rythme intérieur naturel.  Cela découle du fait que l’intellect ne comprend rien au rythme et aux cycles cosmiques et qu’il n’a pas compris à quel point l’homme, enfant de l’Infini, est puissant aux yeux du Créateur.  Hélas, comme on l’a dit, il n’existe pas de raccourci mystique sur le Sentier.  Et de même, dans la vie courante, il n’existe pas de raccourci d’expérience pour atteindre la perfection.  La connaissance, mise trop tôt entre les mains d’un être impur, ne sert qu’à consolider sa vanité, ce qui se retourne contre lui.  Nul ne peut posséder le fruit avant d’avoir fait grandir l’arbre.  Chacun doit suivre un cheminement correspondant au cycle de sa propre maturation.  Chacun doit prendre le temps de digérer les informations qu’il reçoit afin d’en élaborer de nouvelles substances.  Chaque œuvre doit s’accomplir de la manière que cela vient et s’impose.

L’impatience témoigne d’un manque de foi en soi-même et dans le Plan divin.  Ainsi, on démontre qu’on ne croit pas avoir réussi ce qu’on voulait réaliser dans un délai limité ou durant son incarnation.  C’est le piège de celui qui a l’impression de toujours avoir à se presser pour arriver en un lieu ou parvenir à une réalisation.  Rien ne sert de s’en vouloir de ne pas agir aussi rapidement que son ego croit nécessaire de son point de vue.  Le regard de la personnalité ne porte que sur une bien mince partie de soi-même.  L’âme détient une vision totalement différente de ce qu’il convient de faire.  Il faut prendre le temps de devenir conscient de ses besoins, de sa constitution et de son plan de vie pour agir à un rythme optimal sans excéder ses limites.  En cherchant à évoluer très vite, on ne parvient pas à comprendre ou à interpréter convenablement ce qu’on perçoit ni à relier ce qu’on vit à un contexte général.  Alors, en plus de prendre du retard, on agresse son système nerveux et on se détraque.

L’impatience engendre de la résistance.  Quand on désire que les choses aillent vite, c’est qu’on cherche encore à contrôler les forces de l’Univers.  Ainsi, on se coupe de son Maître intérieur ou on lui complique la situation.  L’impatient est une proie facile pour les ennemis de l’Humanité.  Ils profitent de sa peur pour lui faire oublier la loi naturlate-to-work1elle de la solidarité.  L’impatience ne peut mener qu’à l’étourderie, ce qui attire l’échec derrière laquelle se cache le diable.  Et il ne tardera pas à saboter ses plans d‘avenir en semant la panique.

Il existe une loi qui stipule qu’un être gagne toujours par dix le temps qu’il croit perdre quand il fait les choses de la bonne manière et avec amour.  C’est presque un résumé de la fable de La Fontaine, Le lièvre et la tortue.  Qui a dit : Patience et longueur de temps font mieux que force ni que rage?  Mais Francis Bacon à tout aussi joliment dit : «La fortune vend à qui se hâte une infinité de choses qu’elle donne à qui sait attendre.»

Dans la vie, il n’y a que deux choix : se hâter et rester à la surface des choses, parce qu’on veut gagner du temps, parce qu’on ne sait pas partir à temps ou prendre son temps, et s’épuiser ou prendre son temps, suivre son rythme propre, respirer en profondeur et approfondir chaque expérience, pour la comprendre suffisamment de manière à ne jamais avoir à la reprendre, surtout si elle est désagréable, ce qui fait précisément gagner le temps qu’on espère tant gagner dans la précipitation.  Paradoxalement, se hâter avec lenteur mène plus loin ou plus haut que toujours vivre dans l’activisme, la trépidation ou la fébrilité.

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