LA GOURMANDISE, MANGER SES ÉMOTIONS PAR EXCÈS DE SENSIBILITÉ ET DE SENSUALITÉ… 

La gourmandise, qui, dit-on, a pour contraire la sobriété ou la tempérance, et pour sœur, la luxure, évoque l’inclination vers la bonne cuisine ou la bonne chair, le désir immodéré de manger et de boire.  Elle représente un premier pas dans l’escalade qui amène à porter à son corps une considération qui dépasse son rôle instrumental, devenant une complaisance dans la consommation d’aliments.  C’est le défaut de celui qui est exigeant en matière de nourriture, au sens qu’il sait s’empiffrer constamment, mais qu’on ne considère plus que comme un joli défaut qui se paie pourtant dans la propre chair de celui qui abuse des aliments.  Cet être vit pour manger, il ne mange pas pour vivre.

La nourriture tient une place très importante dans la vie de chacun puisque, depuis la  naissance, c’est par elle que l’être incarné peut se développer physiquement, prendre des forces et les refaire, se maintenir en bonne santé.  Si un être devient malade, le premier point à surveiller doit être son alimentation.  Il doit se demander s’il manque de certagourmandiseins éléments nutritifs nécessaires à l’équilibre de son organisme, s’il a suffisamment varié les aliments ou si, au contraire, il en a abusé.  Du reste, c’est bien connu, dans certains cas, c’est le jeune, qui permet de désintoxiquer l’organisme et de le nettoyer, qui apporte les meilleurs résultats.  Une bonne alimentation demeure le premier des points à considérer, dans le désir de rétablissement, du fait que les effets curatifs des meilleurs remèdes peuvent être compromis, donner des résultats mitigés, si un être s’alimente mal.

Sauf que les aliments procurent du plaisir dans l’acte nécessaire de se nourrir.  Le Créateur savait que, sans le goût, bien des créatures négligeraient de s’alimenter comme il faut.  Cette sensation agréable comporte sa contrepartie ou son inconvénient, à savoir qu’un être peut abuser du plaisir qui est associé au fait de manger.  Le plaisir de manger vise le maintien de l’équilibre physique et la survie.  Mais, comme ce plaisir sollicite chacun plusieurs fois par jour, il peut devenir obsédant, surtout par compensation à un manque, ce qui peut amener un être à le rechercher pour lui-même.  Il peut en venir à consister, dans une très large mesure, une condition majeure de son bonheur.  Tout ce qui cause le plaisir des sens peut parvenir à s’imposer comme l’élément principal d’une philosophie du bonheur.

Ne fut-ce pas le fait qu’on prête au philosophe Épicure qu’on présume à tort avoir affirmé que le bonheur consistait à se procurer le plus de plaisir possible, par l’agrément que procure une nourriture exquise et sans doute plus encore, par l’excitation sexuelle.   Alors, faciles à convaincre dans ce domaine, les gens se mirent à rechercher la gourmandise et la luxure, libérées de toute contrainte rationnelle, comme les biens fondamentaux du bonheur humain.  Pourtant Épicure, qui prônait l’atteinte de l’ataraxie, la tranquillité de l’âme, préconisait tout le contraire, à savoir d’éviter les sources de plaisir qui ne sont ni naturelles ni nécessaires.

Mais, n’y a-t-il rien de plus attirant, comme règle de conduite, que la recommandation de se livrer à tous les plaisirs, faisant d’elle le bien souverain, même si on trahit la pensée d’un auteur?  N’est-ce pas un moyen simple de libérer les âmes pliées depuis longtemps sous le joug de superstitions religieuses et de principes moraux ascétiques?  On s’écarte là de la notion qu’il faut vivre dans la vertu en tout domaine pour éviter les extrêmes, ce qui est source d’harmonie et d’équilibre.  Ne disait-on pas, jusque là, que la vertu se situe dans le juste milieu?

Pour sa part, le vice de la gourmandise ne consiste pas tellement dans la quantité matérielle de nourriture qu’un être absorbe, puisqu’il n’y a pas de mal à se payer de temps à autre un petit caprice ou une fantaisie pour soulager les tensions.  Il réside dans le désir habituel qui pousse à trop manger ou à se préoccuper excessivement de ce qu’on va manger que les anciens appelaient le «désir du ventre» pour laisser entendre qu’un être devient alors l’esclave de son appétit au point que sa consommation porte atteinte à sa santé ou qu’elle devienne la source principale de son bonheur et la fin privilégiée de sa vie.  Autrement dit, l’être ne vit plus pour vivre, il vit pour manger.

Dans notre monde, alors que les valeurs morales ont dégringolé, au point qu’on ne puisse aborder un sujet éthique sans se faire qualifier de moralisateur, on se permet facilement, et sans scrupule, tous les dérèglements.  On appelle cela la libération des mœurs plutôt que la déchéance de la fin d’un Âge sombre.  Comme les résultats négatifs de ce comportement sont cumulatifs, mais ne se font souvent sentir qu’après un long cycle d’excès, se croyant invincibles, les gens, surtout les jeunes, s’y adonnent jusqu’à ce que, souvent, il soit trop tard.  Par exemple, dans les maisons d’enseignement, il n’est pas facile de convaincre les étudiants de bien manger en écartant la malbouffe.  Si on la retire des lieux, ne pensant qu’au bon goût des aliments, plus qu’à leur qualité et à leur fonction, on se rendra à un casse-croûte ou un restaurant du voisinage pour s’en procurer.  Des études démontrent que la dépendance à la nourriture est devenue l’asservissement le plus commun.  On explique cette compulsion par la croissance des problèmes émotionnels et du stress.

 Alors que chez l’animal, c’est l’instinct qui règle les mécanismes de la faim, ce qui l’amène à arrêter de manger dès qu’il n’en a plus besoin, pour passer à autre chose, chez l’être humain, c’est la raison qui joue le même rôle.  Ainsi, s’il éprouve une souffrance intérieure, un vide existentiel, de l’angoisse ou de la tristesse, il peut facilement compenser en mangeant de manière exagérée, dépassant les quantités qu’assigne l’acte naturel de nourrir le corps.  La gourmandise ne concerne pas la quantité de la nourriture ingérée ni la fréquence de l’ingestion, qui varient d’un sujet à un autrfemme-boulimiquee, mais le fait que la pensée habituelle tourne davantage autour de la nourriture qu’autour de ses autres besoins physiques, psychiques et spirituels.  Le gourmand compulsif ne s’arrête de manger que par nécessité, quand l’estomac exprime ses limites, quoique certains, même s’ils sont rares, vont jusqu’à se faire régurgiter pour mieux recommencer.

À vrai dire, le problème de la gourmandise, c’est que, outre les dommages qu’elle cause à la santé, ce type d’excès ouvre la porte à nombre d’autres maux, surtout s’il s’accompagne de l’alcoolisme.  Dans l’acte de manger, dépourvu de toute notion de nutrition, il n’honore plus la Nature ni son Créateur, il vénère le dieu de la panse.  En effet, comme il obscurcit l’esprit et affaiblit la volonté, le laisser-aller s’installe dans bien d’autres domaines, ce qui amène à céder à de plus en plus d’excès dans ce qui flatte les sens.  C’est la raison pour laquelle les anciens l’ont toujours décrit comme le point de départ de la déchéance.

Lanza Del Vasto lança un jour cette remarque: «Le grand péché du gourmand, c’est de faire injure à la nourriture qu’il prend et gâte, c’est de méconnaître la valeur de manger.» Psychologiquement, le gourmand dénote un attardement au stade oral.  Il compense à son vide intérieur et à ses frustrations lointaines en se donnant du plaisir dans la bouche.  Il bouffe parce qu’il reproduit inconsciemment, mais goulûment, la jouissance qu’il ressentait à se nourrir, dans le giron de sa mère ou dans l’intimité familiale.  Il ne s’est pas sevré du passé.  Chaque fois qu’il est triste, éprouve des ennuis, est frustré, il se console en mangeant.  Peut-être dévore-t-il ses émotions ou tente-t-il de grossir pour se faire voir.  Il peut encore chercher à se faire des coussins pour se protéger contre les agressions extérieures.   Quoi qu’il en soit, le cercle vicieux se boucle: chaque fois que sa quête de bonheur reste infructueuse, il mange, il consomme, voire il dévore.

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