L’IMITATION DÉPERSONNALISE, TOUT EN INCLINANT VERS LA CONCURRENCE ET LA RIVALITÉ

Consciemment ou inconsciemment, l’imitation vise à reproduire une image, une apparence, une conduire, un geste, un acte d’autrui.  Elle survient spontanément, donc naturellement, chez l’enfant, un être en apprentissage, qui veut s’instruire et expérimenter, tout en faisant plaisir à ses parents ou aux gens de son entourage, pour se faire accepter, parfois pour se faire passer pour un grand.  Toutefois, avec la maturation, elle devient suspecte puisqu’elle limite: en effet, elle écarte de l’originalité propre, elle nie la rareté inéluctable de chacun et elle détruit la spontanéité personnelle.  Elle ne tarde pas à lancer dans la concurrence, car la simple imitation ne peut pas satisfaire longtemps, à moins qu’il s’agisse d’une émulation qui résulte de l’admiration ou de l’adulation.  Sauf qu’avant d’admirer les autres, il faudrait peut-être commencer par s’admirer soi-même.

  L’admiration se définit comme un sentiment de joie qui porte à un élan du cœur spontané, naturel, simple, devant ce qu’on juge beau, grand ou supérieur à ce que l’on pourrait être.  C’est un mouvement d’étonnement, de ravissement, d’enthousiasme, qui inspire et qui porte à donner son adhésion, à offrir son approbation, à présenter ses éloges.  Il est facile d’admirer les autres, d’éprouver un saisissement sain, quand on est soi-même fier, digne, sincère, honnête, loyal.  Car cela ne revient qu’à reconnaître ce qui revient aux autres à juste titre, sans vanité, sans envie, sans jalousie, et qu’à l’apprécier.  Celui qui ne sait pas apprécier dénote son manque de confiance en lui et son manque d‘image valorisante : il craint de se diminuer en appréciant l’œuvre oimitation-mère-filleu la conduite du voisin.  Mais chez un être faible et dépendant, l’admiration peut dégénérer en flatterie, en servilité courtisane, en adulation frénétique, en flagornerie, en anéantissement personnel.  Chez un être plus fort, elle peut dégénérer en arrogance et en condescendance.

En principe, l’admiration désigne un sentiment désintéressé par lequel un être reconnaît la maîtrise, la connaissance ou la compétence d’autrui, un état qui dépasse son entendement ou ses aptitudes présentes.  Il reconnaît les pouvoirs dont l’autre dispose pour se simplifier la vie, respecte sa gloire ou sa renommée qui lui permet, si c’est son désir, de laisser humblement sa marque.  Mais, chez la majorité, l’admiration se traduit par un sentiment d’envie déguisé et écrasant.  On reconnaît dans l’autre un degré de réalisation que l’on convoite, mais en le croyant irréalisable pour soi.  Si l’admiration ne conduit pas à produire des efforts pour progresser ou évoluer en prenant un autre comme modèle, qu’on ne cherche pas à imiter ni à émuler, mais qui stimule, elle s’exprime vainement.  L’admiration sincère doit conduire à chercher à comprendre comment un être est arrivé à un haut niveau de développement ou de compétence, par quelles dures épreuves il est passé pour y arriver, quelles vertus il a dû développer pour parvenir à ce stade de réalisation, en suivant sa vérité personnelle, sur la Voie de l’Idéal.  Cela n’exige nullement que l’on parvienne à une vie à un degré si noble ou glorieux de maîtrise, mais que l’on s’y applique au meilleur de ses moyens et de sa compréhension.

L’ambition saine est un moteur puissant qui doit permettre de réaliser de grandes choses.  Mais voilà, l’ambition saine porte déjà d’autres noms : la motivation, au niveau contingent, ou l’aspiration, au niveau spirituel.  Exceller dans le rôle fonctionnel que la Providence a dévolu à chacun, c’est la seule ambition légitime, disons plutôt une aspiration naturelle, la seule conforme à l’Ordre cosmique.  Trop de gens cachent leur ambition sous une apparence d’ardeur ou de zèle, alors qu’elle signale l’activisme, un désir de performance, un besoin de productivité ou une propension au perfectionnisme.  Mais on peut reconnaître cet élan fautif au fait que son ambition, comme l’horizon, recule à mesure qu’on avance, au point qu’on devient dominateur et accaparant.  En effet, l’ambition ne tarde pas à induire dans une recherche exagérée, parfois obsédante, de la richesse, de la gloire, du succès, de la renommée, des honneurs, d’où elle peut dégénérer en vanité, en prétention, en orgueil.  À l’inverse, elle peut s’expliquer par une insatisfaction permanente de ses réussites.  Un adage populaire dit à juste titre que «l’ambition tue son maître», car elle amène à désirer plus qu’on ne peut employer ou tolérer pour le moment.

David Augustin de Brueys, un théologien et dramaturge français, a su dire : «L’ambition, en portant nos yeux vers l’avenir, nous empêche de jouir du présent.»  Tout ce qui est demandé à chacun, c’est d’avancer vers l’Idéal au rythme du quotidien, non d’agir motivé par l’ambition.  Il est facile de se dégager de l’ambition si on comprend que, si on entre en soi pour écouter les directives intérieures, tout ce qui est bon viendra au bon moment, même si cela ne répond pas à ses préférences. Chacun gagnerait à éviter de prendre ses décisions en se fondant sur ce qu’il espère obtenir pour se fonder sur la poussée évolutive qu’il reçoit et sur l’aide qu’il peut apporter aux autres.  Bien qu’il puisse avoir des motifs personnels dans ses actions, il ne doit pas se désoler s’ils ne se réalisent pas et il doit veiller à prendre en considération, avec son bien, celui des autres.  L’ambition dévie trop facilement en émulation, en imitation et en concurrence.

Or, la concurrence, qui se fonde sur l’esprit de compétition, dénote d’abord une résistance à la vie.  En effet, elle porte à tenter de faire obstacle au succès des autres ou à les dépasser dans leurs réussites.  Bien qu’elle force les êtres humains à déployer les efforts les plus persévérants et à puiser dans leurs meilleures ressources naturelles, pour se dépasser constamment, elle fournit la preuve criante d’êtres qui cultivent une agressivité latente ou qui entretiennent la peur du manque et des limitations.  Qui s’installe dans l’état de concurrence, cherchant la compétition, s’installe dans un état de rivalité, ce qui ne peut pas vraiment déboucher sur des relations loyales et fraternelles.  Et quand on s’installe dans cet état, on ne peut que s’attendre, par la causalité, à s’attirer peu à peu des concurrents, imbus de rivalité, qui tenteront de saper ses acquis.

En elle-même, toute concurrence se fonde sur une attitude déloyale et malhonnête du fait qu’elle fonde la réussite sur l’émulation et la prédation, ce qui amène à se faire passer pour supérieur, plus serviable, plus inventif, plus actuel, plus conforme que les autres et le reste.  Personne n’a demandé à l’être humain d’être performant au point d’agir au détriment d’autrui.  Chacun doit apprendre à agir à partir de ses propres critères et se prendre lui-même comme le point de référence dans ses efforts de se dépasser.  Celui qui veut réussir n’a pas besoin de se faire de réclame.  S’il tient à tout prix à se lancer dans la concurrence, il n’a qu’à agir d’une façon plus consciente que les autres, sans toutefois se comparer, et à offrir des services plus adaptés ou plus ingénieux, qui répondraient mieux aux besoins ou aux attentes des gens, mais sans cultiver leur paresse et leur laisser-aller.  Ainsi, il s’assurera d’au moins de se rendre service à lui-même tout en servant l’ensemble de la collectivité.  Dieu saura faire pour lui le reste.

La concurrence, comme la compétition, exprime un manque de confiance en son Être intérieur, un manque de foi élémentaire en sa grandeur intime.  Elle trahit un être qui ne sait pas qui il est, qui manque de sécurité et qui doute de son abondance.  Celui qui se laisse prendre par ce piège ne sait pas ce dont il a besoin.  Ainsi, il ne peut apprécier d’aider les autres à s’attirer l’abondance de biens, le succès ou l’amour.  Il se valorise en rivalisant avec les autres, toujours inquiet de savoir ce qu’ils font et ce qu’ils disent.  Il vit dans la crainte de ne pas les dépasser à tous égards ou sur un point spécifique.  Mais, s’il y parvient, naît une autre inquiétude, celle de ne pas réussir à maintenir sa place et d’être détrôné.  Ainsi, il finit par voir partout des rivaux, puis des ennemis à abattre, à mépriser, à discréditer.  Imiter, c’est reproduire, consciemment ou non, une apparence, une conduite, un geste, un acte, un accomplissement, ce qui maintient dans la performance et sur la corde raide.  L’imitation ne contribue qu’à déformer.  Elle limite en écartant de l’originalité propre ou de la rareté inéluctable.  En imitant, on ne peut devenir qu’une copie du modèle qu’on tente de reproduire, on ne peut jamais devenir le modèle.  À force de vouloir ressembler à tout le monde, un être finit par être personne.

On oublie trop souvent que celui qui s’élève sera abaissé, que celui qui ment sera trompé, que qui se ment finira par se fourvoyer.  Nul ne croit en conscience en s’attribuant un prestige quelconque, qu’il soit réel ou présumé, surtout s’il ne sert qu’à masquer le perfectionnisme, le vide intérieur, le mal de vivre, un immense complexe d’infériorité, de l’agressivité larvée, de l’activisme stérile, surtout s’il porte à miser d’abord sur les apparences.  On peut se tirer de cet état d’esprit en se rappelant que chacun tient un rôle spécifique dansimitation le Plan de Dieu et que c’est la réalisation de sa propre part de ce Projet spirituel qui doit obtenir la préséance dans sa vie.  Alor, l’esprit de concurrence s’estompe peu à peu, le mental se détend et on choisit de commencer par être soi-même.  La vie devient rapidement plus facile quand on accepte d’être soi au lieu d’essayer de ressembler à quelqu’un qu’on n’est pas et qu’on ne pourra jamais être.

Les feux de la concurrence peuvent attiser la flamme de l’aspiration.  Mais, tôt ou tard, l’auteur de ce choix chancellera lorsqu’il réalisera qu’il n’est en compétition avec personne du fait qu’il est unique.  L’esprit de lutte et les jeux de pouvoir diminuent lorsqu’on développe la foi dans la paternité universelle de Dieu, car cette reconnaissance réconcilie les êtres humains avec la Source de leur but ultime et éternel.   La plénitude ne peut résulter d’une autre entreprise que celle de jouer pleinement son rôle fonctionnel dans le tout et de le jouer au mieux de ses aptitudes.  Alors, les gens peuvent s’aimer les uns les autres sans tenter de s’imiter ou de s’émuler.  Personne n’est inférieur ou supérieur à un autre.  Tous sont interdépendants de leurs progrès et de leurs échecs.  Aussi n’y a-t-il rien de plus inutile que la comparaison, surtout si elle s’adresse à ceux qui, apparemment, en savent moins que soi.  La connaissance n’est pas une question de quantité, mais de qualité.  Chacun évolue à sa propre manière, d’où il n’existe pas deux sentiers identiques.

Ici maintenant et pour toujours, chacun est qui il est, un être unique, donc incomparable.  Celui qui cherche toujours à se comparer aux autres se sous-estime ou il est tourmenté par l’indécision.  Il vise davantage sur les valeurs du milieu ambiant que sur ses besoins profonds, restant largement inconscient de ce qui se passe en lui.  En fait, il croit qu’en se comparant, il pourra faire de meilleurs choix ou qu’il parviendra mieux à plaire aux autres.  Il manque donc d’estime de lui-même.  Et cela, ce ne sont pas les autres qui peuvent le lui redonner.  Chacun est appelé à faire ses choix à partir de ses besoins, non de ses valeurs.  Chez un être, la notion de comparaison ne peut diminuer que dans la mesure où il sait fixer son regard sur Dieu, l’incomparable, qui lui donne une image de ce qu’il est, et où il sait chercher l’unité en tout.  Dieu seul représente le Modèle intégral.  En cela, personne ne peut se substituer à lui.

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