L’AMOUR-PROPRE, LE COMMENCEMENT DE SA PERTE, LE DÉBUT DE SON DRAME…

Dans son acception la plus acceptable, l’amour-propre se définit comme le sentiment, généralement exagéré, de sa propre valeur ou de sa dignité, souvent en déficit, d’où il peut dégénérer en complexe d’infériorité ou de supériorité.   Ce sentiment fluctuant n’a rien à voir avec  l’amour de soi ou l’estime de soi, des formes légitimes de l’attention qu’un être doit se porter à lui-même.   Car, dès qSELF-prideu’il est question de respect, d’honneur ou de dignité, les choses en restent rarement à cet état inoffensif.  Il se transforme rapidement en un attachement presque exclusif à sa propre personne, à sa conservation et à son développement.  Ainsi, il exprime l’appréciation subjective, plutôt positive, qu’une personne porte sur elle-même, afin d’assurer sa conservation, qui peut dégénérer en agressivité, en hostilité.

En fait, ce mot, qu’il ne faut pas confondre avec l’estime de soi, peut exprimer une attitude vicieuse quand il définit une propension à l’égocentrisme et à l’égoïsme.  Très souvent, il désigne moins une inclination égoïste que cette pulsion plus délicate qui fait rechercher l’estime ou les éloges de ses semblables.  En ce sens, il faut savoir le contenir en de justes limites.  Cette émotion atteint son paroxysme quand elle amène un être à se préférer aux autres, exigeant en outre que les autres le préfèrent à eux, ce qui est rarement possible.   Alors, s’attendant à ce que les autres s’éprennent de lui et se négligent à son bénéfice, il finit par les dégoûter et les repousser.

Madame de Lambert a écrit : «Notre amour-propre nous dérobe à nous-mêmes, et nous diminue tous nos défauts. Nous vivons avec eux comme avec les odeurs que nous portons ; nous ne les sentons plus, elles n’incommodent que les autres : pour les voir dans leur vrai point de vue, il faut les voir dans autrui.»

L’amour de soi est une vertu; l’amour-propre, qui en est le débordement, est un vice assez pernicieux, même un trouble-fête, un sapeur de bonheur.  Il révèle qu’on porte une trop grande attention à son petit moi et qu’on craint constamment qu’il soit blessé, réduit, oublié, atteint dans sa dignité, qu’on lui manque de respect, qu’on le critique, qu’on le déprécie ou, pire, qu’on l’ignore.  Cette émotion se définit par l’opinion avantageuse qu’on se forme de soi-même et que l’on souhaite imposer aux autres par le respect… ou par des moyens moins nobles.  Or, on ne peut être respecté si on ne se respecte pas soi-même.

L’amour-propre conduit facilement à la susceptibilité qui porte à se vexer ou à se formaliser à la moindre remarque ou à la moindre contradiction.  Pascal disait: «La nature de l’amour-propre et de ce moi humain est de n’aimer que soi et de ne considérer que soi.»  Oui, car il dispose à la recherche exclusive de son bien personnel et de son avantage particulier en toute situation.  Il étouffe et tue l’amour, formant mieux l’esprit à ses droits qu’à ses devoirs, plaçant le bien individuel au-dessus du bien collectif.  En effet, la blessure d’amour-propre dure trop longtemps pour permettre à l’amour tout court de renaître.

En général, le vaniteux et le prétentieux se montrent plutôt arrogants et ils méprisent d’autant les autres qu’ils s’estiment eux-mêmes.  À la vérité, celui qui exhibe son amour-propre manque d’équilibre, il a perdu sa confiance en lui.  Au lieu d’examiner ses travers, il n’insiste que sur son droit d’être en colère et d’en tirer satisfaction.  Alors, un petit conseil, tournez ce petit ou grand défaut à votre avantage.  Si vous voulez obtenir quelque chose d’un vaniteux, flattez son amour-propre en évitant soigneusement qu’il s’en serve pour tenter de vous asservir ou de vous inférioriser.  Car, ce qui étonne toujours, chez celui qui est affligé de ce mal, c’est qu’il tient toujours moins compte de son propre jugement sur lui-même que de celui des autres.

La comtesse de Ségur rappelait avec ironie: «L’amour-propre, toujours maître des hommes, corrompt les forts par l’orgueil et les faibles par la vanité.»  Et La Rochefoucauld d’ajouter: «L’amour propre est le plus grand des flatteurs.»  Napoléon lui-même, qui s’est élevé très haut et s’est complu dans sa gloire conquérante, avouait : «Le plus dangereux conseiller, c’est l’amour-propre.»

Mieux que toute autre atteinte, la blessure d’amour-propre révèle le degré de vanité et d’’orgueil d’un être, la puissance de son ego.  Celle-ci révèle qu’il cherchait à domamour-propreiner, mais qu’il a trouvé son maître.  Dès lors, ne pense-t-il qu’à se venger.  Regardez-le agir avec ses projections retentissantes qui, bien qu’elles aient surgi dans une défaite d’un lointain passé, n’ont pas été encore encaissées et continuent à l’agiter dans l’inconscient.  Il se rend malheureux en ressassant ses souvenirs douloureux, ne cherchant qu’à entrer en campagne pour démolir l’autre qu’il perçoit comme un ennemi ou un rival.  Il ne comprend rien au fait que son pire ennemi, c’est lui-même.  Refusant de laisser passer quoi que ce soit, il conduit à s’isoler pour inventer des représailles.

En présence de celui qui l’a blessé, celui qui a été piqué dans son amour-propre, boude et cherche à le faire souffrir par des silences éloquents, pleins de reproches ou il prend des attitudes outragées, désobligeantes.  De temps en temps, il jette à l’infâme qui l’a blessé un regard lourd, amer, assassin, lui lançant, s’il le peut, des propos injurieux.  En tout temps, il cherche le défaut de sa cuirasse : il cherche une occasion propice, publique de préférence, pour le démolir, lui rendre ce qu’il croit la monnaie de sa pièce, et plus, s’il est possible.  Pour ce vaniteux, l’autre est une personne à abattre, peu importe que ses réactions échappent à la commune mesure, à l’importance de la blessure subie.  En l’absence de son ennemi, il lui faut tenir sur lui des propos calomnieux, mais furtifs et voilés, pour faire déprécier l’autre par l’ensemble de ses fréquentations ou connaissances.  Il lui est toujours intolérable de voir un autre refuser de servir, de s’incliner ou s’affirmer mieux que lui-même.

Celui qui est affligé d’amour-propre ne peut se percevoir comme il est et s’aimer, ni aimer les autres, puisque, dans son estime de lui-même, il fluctue au gré des vents des appréciations qui lui parviennent de l’extérieur.  Il n’y a pas là d’amour inconditionnel, d’acceptation d’échapper au regard d’autrui et de s’assumer pleinement, pour s’évaluer par lui-même en toute objectivité, faire en lui les corrections qui s’imposent, afin d’accepter la Vie totale… sans jugement.

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