TOUT BIEN PENSÉ, SUR QUI REPOSE LE FARDEAU DE LA PREUVE?

Le Taj Maal reste le monument qui donne la plus belle preue d’amour d’un prince pour son aimée.

Plus ou moins récemment, un lecteur qui se dit athée m’a écrit pour me défier de lui donner des preuves de l’existence de Dieu, témoignant du même coup, sans s’en rendre compte, de son espoir qu’il existe.  Après m’avoir fait savoir qu’il n’avait pas besoin d’un dieu quelconque pour vivre une vie de bonté et de compassion, par soucis humanitaire, malgré quelques invectives voilées, parce qu’indirectes et injuste, à mon endroit, parce que je poursuivais l’échange dans le non-jugement et la sérénité, il s’est assez rapidement cabré et n’a plus donné de nouvelles.  Du reste, dans ce contexte, je ne l’aurais pas longuement poursuivi n’étant pas de ceux qui courent après les coups immérités.

Pourtant, j’eus le temps de lui suggérer d’établir lui-même un dialogue avec Dieu et de voir ce qu’il pourrait se passer, en prenant bien soin de lui rappeler que l’Absolu ne s’exprimait pas à la manière de l’être humain, par la parole parlée, mais par le Verbe, soit par des archétypes qui deviennent progressivement, en se densifiant, des symboles, des intuitions, des ressentis et ultimement, par la Causalité ou l’Attraction, des faits concrets du vécu personnel, soit toutes les expériences individuelles, avec les coïncidences et les synchronicités difficilement explicables.

Évidemment, il m’a retourné ma suggestion en me disant platement que l’expérience même que je lui proposais démontrait que je ne pouvais pas démontrer l’existence de Dieu. J’eux beau lui rappeler que je n’avais pas à lui donner de preuves, puisque la preuve d’un autre ne peut convaincre parfaitement, que je ne pouvais que lui donner des moyens de se donner lui-même des preuves.

Mais, en telle occurrence, on sait bien que, dans son ego débordant, un intellectuel sceptique ne s’abaissera jamais à même essayer de mettrpreuve-d-amoure à l’épreuve une technique initiatique.  Il aime bien mieux se défiler en exigeant des preuves de l’autre que de tenter de s’en donner lui-même.  En effet, il a trop besoin de projeter sa prétention, qui masque son impuissance, pour accepter une suggestion lui imposant de se lancer un défi à lui-même, dans sa préférence de se tirer du débat, quand il se corse, mais tout en criant victoire, dans sa peur d’au moins essayer, tant il redoute l’échec dès le départ.  Quelle humiliation il vivrait s’il fallait que, après tant d’années de flottement béat, il se donne un indice que ses convictions ne sont que des croyances comme d’autres, sans fondements autres que ceux qu’il veut bien entretenir, car, du coup, c’est toute sa structure philosophique qui s’écroulerait, en plus de devenir responsable de sa découverte.

Comme tous le savent, la preuve désigne le fait ou le raisonnement qui démontre ou établit solidement la vérité, soit ce qui permet d’en vérifier l’exactitude rigoureuse.  Ce n’est qu’en arrivant à la preuve qu’on voit qui dit vrai.  Mais il est bon de se demander à quoi sert la preuve et à qui elle est bonne.  Car il n’est pas plus normal d’affirmer sans preuve que de nier sans elle.  En outre, que vaut une preuve contre un préjugé tenace ou contre une négation obstinée?   Une certitude n’est pas plus une preuve qu’une preuve n’est une vérité.  En matière de croyances, que l’on confond parfois avec des certitudes, le sentiment peut intervenir, au point qu’un être en vienne à manquer de logique.   À vrai dire, même un fait, qui pourrait être une démonstration, n’est rien par lui-même, ne valant que par l’idée qui s’y rattache ou par la preuve qu’il fournit.

Frank Herbert a affirmé : «Toutes les preuves conduisent inévitablement à des propositions qui n’ont pas de preuve!  Toutes choses connues sont connues parce que nous voulons croire en elles!»  À bien y penser, il a raison, car nul ne peut démontrer la moindre chose du fait que, pour y arriver, il faudrait régresser à l’infini.  En effet, il n’y a pas moyen d’établir une vérité parce qu’il n’existe aucune vérité première qui se suffise à elle-même, donc parce qu’elle n‘a pas besoin de preuve pour être établie.  Quant à Arthur Schopenhauer, il s’est un jour écrié : «Cette vieille erreur, qu’il n’y a de parfaitement vrai que ce qui est prouvé, et que toute vérité repose sur une preuve, quand, au contraire, toute preuve s’appuie sur une vérité indémontrée.»

Ainsi, qui peut prouver l’existence de Dieu, en qui tant d’êtres incarnés croient?  Celui qui croit en un Être suprême croit connaître une chose qui ne peut même pas lui être représentée.   Une idée devient évidente lorsqu’elle comprend en elle-même sa propre preuve.  Autrement dit, une évidence n’a pas besoin de preuve extérieure parce qu’elle se prouve par elle-même.  Sauf que, pour un être de bon vouloir, une cause peut aussi se reconnaître dans ses effets, les deux étant identiques.  Même le très fervent Gilbert Cesbron a su dire, sans doute pour faire échec à son angoisse existentielle : «De Dieu, nous attendons des preuves de son existence, or il ne nous donne que des preuves de son amour.»

En effet, prouver n’est pas toujours démontrer, c’est souvent susciter la demande de nouvelles démonstrations.  Pour un être particulier, prouver, c’est tout au plus faire vérifier à un autre qu’il est lui-même capable de reproduire un phénomène en partant des mêmes données fondamentales.  C’est donc donner un a posteriori pour faire accepter une théorie scientifique ou un postulat de vérité.  En tant que raisonnement, cela se supporte, mais ce raisonnement ne conduit pas forcément au savoir.

Croire n’est pas seulement admettre, c’est accepter une certitude d’une évidence qu’on se donne soi-même.  Il est toujours raisonnable de demander un minimum de sûreté avant d’entreprendre une démarche, mais on n’a jamais rien à perdre à l’entreprendre.  Le chercheur spirituel gagne à respecter la maxime suivante: «On n’a rien à prouver et je n’ai rien à prouver, j’ai tout à vivre.»  À celui qui lui demande des preuves de ses allégations, il devrait toujours demander à l’autre d’en donner pour les siennes.  Par exemple, le sceptique demandera toujours au croyant, de façon perverse, de lui fournir des preuves de ses croyances ou de ses certitudes, mais lui, en donne-t-il de ses raisons de douter?  Et ceux qui ont osé en donner ont simplement fait croire à un bon tour de passe-passe, qui n’a amené à aucun changement de comportement chez les inquisiteurs.  Il est vrai que les réalités subtiles dépassent l’entendement.

En fait, la Voie spirituelle ne cherche pas à donner de preuves de ses enseignements.  Elle ne peut que donner à l’aspirant des moyens de se donner lui-même des preuves en passant aux œuvres dans la foi, soit en appliquant des techniques, s’il en a la patience.  Mais, dans sa peur de perdre son temps, un sceptique n’acceptera jamais de consacrer à une démonstration personnelle le temps qu’un Initié  y a mis.  Ainsi, dès le départ, il entraîne dans le cercle vicieux de vains arguments rationnels.

Agir sans preuve exige un acte de foi, mais, sans la foi, rien ne peut se produire.  C’est la bougie d’allumage de toute manifestation.  Il faut commencer par admettre une assertion au moins comme une hypothèse, si on compte, par la suite, s’en donner des preuves.  Ainsi, chacun doit prendre le temps de mener ses propres expériences pour apprendre, car, au fond, un être ne croit que ce qui est passé à travers lui.  La démonstration des autres n’est jamais concluante, ce que les Guides savent fort pertinemment.  Aussi ne font-ils jamais étalage de leur Savoir et de leurs possibilités d’accomplissement.

Bertrand Russell a ironisé : «Les controverses les plus furieuses ont pour objet des matières où il n’y a aucune sorte de preuve.»  Comme Voltaire l’avait dit avant lui : «L’intérêt que j’ai à croire une chose n’est pas une preuve de l’existence de cette chose.»  Dans ce contexte, il convient de vivre et de laisser vivre, sans tenter de convaincre qui que ce soit de sa vérité.  Surtout qu’il y a des principes qu’un Initié peut croire, puisqu’il a éveillé des facultés qui peuvent lui confirmer.  Mais le profane, lui, se présente souvent comme un aveugle de naissance qui demande qu’on lui prouve l’existence des couleurs de l’arc-en-ciel pour y croire.

Dans une discussion, l’Initié et le profane ne s’affronteraient pas à armes égales, l’un agissant comme un aveugle qui guide des aveugles, alors que, la plupart du temps, l’Initié est un borgne, un être qui peut sonder le monde invisible par le troisième œil ou l’œil spirituel, ce qu’il ne peut démontrer concrètement.  À vrai dire, la tentative de donner des preuves, comme la discussion, amène vainement deux intellects à se confronter dans un jeu de pouvoir.  On observera que plus une personne discute, moins elle a de choses à dire et que, moins elle est convaincue de son sujet, plus elle a de prétentions à défendre.

Un être sort rarement indemne d’une discussion fiévreuse, surtout si les esprits s’échauffent et tentent de se dominer.  Alors, les interlocuteurs ne cherchent plus à faire triompher la vérité, mais à protéger leur amour-propre et leurs intérêts secrets.  Peu de discussion permettent de garder du respect pour son opposant.  Quant à celui qui veut l’emporter à tout prix, il se vide et se démagnétise, d’où il lui faudra un bon moment pour se reconstituer.  Il est surtout préjudiciable de discuter des problèmes d’autrui, même invité à le faire, car il faut alors prendre parti, ce qui relève de la subjectivité, de la partialité et de l’arbitraire.  C’est une transgression à la loi de la non-intervention et de l’innocuité.  Alors, on doit se prononcer en jugeant et on crée un lien subtil frauduleux qui permet à l’autre, éventuellement, le parasitage.

En matière de spiritualité, le fardeau de la preuve repose sur les épaules de qui veut savoir, non de celui qui sait.  Celui qui sait n’est pas tenu d’exposer son savoir et, s’il est vraiment sage, il ne s’abaissera jamais à ce jeu.  Il ne sait trop bien qu’il revient à chacun de se donner ses preuves en appliquant le principe spécifique et que tout ce qu’il pourrait démontrer pourrait rester sujet de suspicion ou de contestation.  Pour badiner, on pourrait dire que dans l’appel à la démonstration, il y a le mot «démon», il y a un piège initiatique.  Chacun doit se démontrer la vérité par lui-même.  Le rôle du sage c’est de lui apprendre la technique pour y arriver, non d’appliquer la technique pour lui ou à sa place.

Voici une excellente preuve d’amour : l’empereur moghol Shâh Jahân, fit construite, la même année du drame, le Taj Mahal d’Agra, en Inde, expression qui se traduit par le «Palais de la Couronne», comme gage d’amour éperdu à l’endroit de son épouse, morte en 1631 en donnant naissance à leur quatorzième enfant.  Les actes valent mieux que les discussions et les tentatives évasives de démonstration.

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Une réponse

  1. assane zaroq

    ” Mais il est bon de se demander à quoi sert la preuve et à qui elle est bonne.”
    oui
    si Dieu existe ,ou si Dieu n’existe pas ? !
    il me semble que pour une personne croyante ; autant demander la preuve à qui nie l’existence de DIEU que de chercher à lui donner la preuve de son existence.
    Merci
    …je salue après toi l’acte de l’empereur moghol Shâh Jahân

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