LA DÉPENDANCE PREND PLUS DE FORMES QU’ON NE POURRAIT LE CROIRE!

   La dépendance évoque un état subtil d’attachement, de sujétion, de subordination aux êtres, aux choses et aux circonstances.  Révélant un vide intérieur, à l’extrême, elle exprime un besoin compulsif d’obtenir l’assistance d’autrui jusqu’à empêcher de prendre des décisions autonomes et éclairées relativement aux actes de son quotidien, voire des choix relatifs à son propre destin, pour faire cesser le malaise psychique de son impuissance ou le fait de ne se reconnaître aucun droit… et bien souvent, aucun devoir.  Rendant hypersensible, dès lors, les événements du monde extérieur en viennent à régler les humeurs et les états d’être du sujet qui est affligé de cette carence.  Autrement dit, déviation de la mentalité grégaire, la dépendance pousse à une recherche incessante de l’appui inconditionnel des autres, ce qui, limitant la liberté personnelle, retarde l’accession à l’autonomie et à l’indépendance et entrave l’évolution spirituelle.

   De la gamme de ces pathologies, il n’y a pire cas que la dépendance affective qui naît d’un manque d’attention ou de soins dans l’enfance et qui se traduit, à l’âge adulte, par une hypersensibilité, un manque d’estime personnel, de confiance en soi et de reconnaissance de ses valeurs propres, ce qui amène à se donner entièrement à autrui, généralement dans l’exclusivité, dans la mesure où cet adépendanceutre comble ses carences intimes, les compensant.  Mais il existe mille façons de se démontrer dépendant.  En voici quelques-unes…

   Un être dénote sa dépendance s’il cherche à vivre comme les autres le font, oubliant qu’il ne sert à rien de vivre comme autrui puisque, dans l’unicité de son rôle fonctionnel, il n’est pas les autres.  Pour lui, ce choix revient à s’imposer des attitudes, des comportements, des actes qui ne lui ressemblent pas, ce qui engendre un profond malaise dans sa structure personnelle.  Il finit par se dépersonnaliser au point de ne plus vivre que pour les autres, ne sachant plus ce qu’il est, ce qu’il vise et ce qu’il aime, ce qui l’amène à vivre dans un mal de vivre, une angoisse vague, mais persistante, dont il ne connaît pas l’origine.

   Mais un être exprime encore de la dépendance s’il développe une personnalité accessoire pour chaque circonstance de la vie ou un comportement différent selon les individus qu’il rencontre.  Nul ne peut foncièrement se montrer différent avec les autres qu’il n’est avec lui-même, de sorte que celui qui se plaît à lui-même ne peut que plaire aux autres, du moins à ceux qui cherchent à faire partie de son cercle d’amis ou de connaissances.  Être soi-même permet d’atténuer les tensions qui résultent de l’effort de plaire aux autres d’une façon forcée et systématique.

   La force d’affirmation, marque d’indépendance, peut surprendre d’autres personnes, surtout au début, mais, l’exemple entraînant, elle ne peut que les encourager à se retourner vers eux-mêmes et à bien se regarder en face de manière à mieux se développer dans leurs particularités.  Chacun gagne à se choisir lui-même, le premier et en premier lieu, ce qui est la meilleure manière de découvrir la force et le discernement requis pour plaire aux autres.  Nul ne peut donner ce qu’il ne possède pas ou ne porte pas en lui.  En outre, nul n’est tenu de plaire aux autres davantage qu’ils n’acceptent de lui plaire.  Dans une rencontre, s’il y en a un qui doit plaire, n’est-ce pas celui qui se porte vers l’autre puisque c’est lui qui entreprend la démarche d’aller vers cet autre?  La réponse peut aider à démystifier l’idolâtrie des fans et à briser les fausses images des gens populaires.

   Une autre manière de se montrer dépendant, c’est de s’éclipser et de se dépouiller de ses responsabilités ou de se disculper de tous les torts en laissant les autres commettre les erreurs à sa place.  Rien ne justifie jamais qu’un être laisse un autre agir pour lui place puisque, alors, il se prive d’une expérience instructive dans sa démarche de responsabilisation.  Même qu’un être gagnerait à toujours éviter de demander un conseil, dans un cas d’importance, pour se permettre de rester à l’écoute de son cœur et de tout passer au crible de sa propre intuition, ce qui aide précisément à la développer.  Il importe que chacun apprenne à penser par lui-même puisque le cours de son destin ne peut qu’épouser les plans qu’il édifie.

   Un être pèche encore par dépendance s’il vit dans le rêve ou la rêverie en s’écartant de la réalité.  Comme toute pensée crée, le rêve peut donner une direction à sa vie, mais, puisqu’il est dépourvu de concret, il ne peut donner qu’une direction floue, vague, évanescente, erratique, ce qui l’empêche de se revêtir de substance.  Celui qui fait trop de rêves éveillés doit reconnaître qu’il ne détient pas la gouverne des circonstances de sa vie.

  Quelqu’un peut encore révéler sa dépendance s’il se permet de ressentir trop intensément l’influence des autres, leurs attitudes, leurs états d’être.  La sympathie, un extrême de l’empathie, est un couteau à deux tranchants : celui qui admet que les autres peuvent lui faire du bien admet du même coup qu’ils peuvent lui faire du mal;  s’il admet qu’ils puissent lui apporter quelque chose de plus, il admet qu’ils peuvent aussi lui en soustraire, lui en enlever.  Du reste, il y a là une forme de complaisance subtile qui, par l’admiration implicite, lance dans le penchant de  l’adulation.

   Ce qu’un être fait doit rester neutre pour son voisin puisque cela n’est pas des ses affaires, si cela ne lui fait pas de tort.  Et si cela lui fait du tort, au lieu de s’en prendre à l’autre, il doit en chercher la raison, qui ne peut venir que de lui dans un aspect qu’il néglige d’explorer.  Dans cette perspective, les autres ne peuvent que rester un canal facultatif ou aléatoire du bien espéré.  Par là, il faut se garder d’entendre qu’il faille dominer les autres puisqu’il s’agit plutôt de déterminer qui va mener sa propre barque.  La plus grande puissance qu’un être puisse détenir, c’est celle de ne détenir aucune puissance, car il échappe ainsi à l’emprise des liens et à nombre de limitations courantes.

   Un beau jour, il faut sérieusement se poser la question : «Qui sont vraiment les autres?»  La réponse n’est-elle pas qu’il y a parmi eux des milliers de gens qui ne peuvent rien faire pour soi ni apprendre à soi contre une minorité qui le peuvent?  Si tel est le cas, il s’agit de repérer les candidats qui peuvent servir, en les attirant naturellement par le rayonnement qu’on dégage.  Ainsi, s’ils doivent intervenir utilement, on ne sentira pas qu’on leur doive quoi que ce soit.  Car nul ne doit jamais rien à qui que ce soit, même si un autre lui avait rendu les plus grands services, car c’est ce dernier qui, au terme du choix, a accepté d’agir, ce qu’il devait faire en connaissance de cause.

   Il y a également de la dépendance dans le fait de projeter sur les autres ses états émotifs, de préférence négatifs.  Chacun se reconnaît dans les autres puisqu’ils renvoient son image comme un miroir.  Or les projections personnelles ne se démontrent pas forcément toujours des faits avérés.  Celui que les autres dérangent doit reconnaître qu’il leur accorde encore une importance exagérée ou qu’il porte en lui les mêmes carences intimes qu’eux.  En pareil cas, un être ne devrait-il pas se demander, pour lui-même, pourquoi il réagit aussi péniblement à l’action ou à la réaction d’autrui?  Cela ne le ramène-t-il pas à sa propre responsabilité, à savoir de ce qu’il accepte et refuse de le laisser le toucher?

   Mais n’est pas moins dépendant celui qui manque de sincérité et d’authenticité parce qu’il redoute toujours de déranger, de blesser, d’être rejeté ou qu’il craint de faire des vagudépendance-1es autour de lui.  Chacun gagne à savoir vivre sa vie à sa manière et à dire ce qu’il pense, mais sans porter de jugement de valeur ni proférer d’attaques personnelles.  Les autres ne peuvent qu’en venir à apprécier l’attitude de celui qui leur fait savoir qu’il ne se laisse pas attraper par leurs simagrées ou leurs frimes ou qu’il s’est dégagé de leurs pressions.  Surtout, sa sérénité cesse d’être à la merci de leurs propos ou de leur humeur.

   Est aussi dépendant celui qui s’immisce dans les affaires d’autrui, sans y être appelé, surtout dans leurs malheurs ou leurs apparentes faiblesses.  Dans ce dernier cas, sous le pieux prétexte de bien les aimer et de vouloir sympathiser avec  eux, voire de redresser leurs torts, il ressent surtout leurs problèmes et il ne peut agir qu’en aveugle qui veut les diriger.  En cas d’urgence, un être ne peut intervenir adéquatement que s’il garde son sang-froid.  Dans une pareille situation, certains vont jusqu’à tenter de déterminer leur degré de responsabilité dans la déveine d’autrui, alors qu’ils ne peuvent jamais en êtres responsables en aucune manière.  Ils ne peuvent se considérer que solidaires du destin d’un autre.  Jamais un être ne doit admettre la moindre intervention ou la moindre responsabilité dans ce qui arrive aux autres.  Comme il ne doit jamais leur trouver d’excuses sentimentales ou émotionnelles.  Ce que, du reste, il ne doit pas même faire pour lui-même!

   Dans la vie, chacun doit apprendre de sa propre expérience.  Et lorsqu’il décide de s’impliquer dans une affaire, même s’il le fait à ses risques et ses périls, il en porte l’entière responsabilité par le fait de choisir de le faire.  Souvent, il vaudrait mieux éviter de se placer au travers du chemin d’autrui, même d’un être cher.  Si un autre refuse de comprendre ce qu’il lui arrive ou de voir clair dans son destin, de développer sa force de caractère, d’ouvrir sa conscience, d’affermir sa détermination, n’est-ce pas son problème… ou sa maladroite solution du moment?

   Tous devraient admettre comme une vérité absolue le fait qu’ils ne peuvent faire le bonheur d’autrui, pas plus que les autres ne peuvent faire leur bonheur.  À l’inverse, nul ne peut priver qui que ce soit de son bonheur ni se le faire enlever.  Comme quoi les autres peuvent tout au plus apporter de la compréhension, procurer des sensations agréables, mais fugaces, selon l’évolution psychique de chacun.  La vérité, c’est que le bonheur est et demeure un état d’être, une réalisation personnelle.

   Chercher à évoluer spirituellement n’amène pas à diviser les êtres ni à les couper des autres, mais elle impose qu’ils s’en libèrent, surtout dans la part des liens faux et frauduleux.  Il est vrai que, dans l’Unité cosmique, tous font indissolublement partie de la même Réalité, mais, dans la perspective de l’individualisation, chacun doit se posséder pour être en mesure de donner.  Nul ne peut collaborer au projet collectif que s’il est plein de lui-même, non au sens de nombrilisme et de fatuité, mais au sens d’une plénitude d’être.  En se dégageant des autres, un être ferme des portes aux menaces,  aux intrusions indues, à la peur, à des liens karmiques;  il se dégage de l’émulation, de la concurrence et, du coup, de la rivalité;  et il se protège contre bien d’autres maux, dont le chantage émotif, le marchandage subtil et quoi encore.  Sur le plan émotionnel, il se désinvestit, il cesse de s’impliquer, il prend de la distance.

   Quand il assume son indépendance et son autonomie, un être n’attend plus rien que de lui-même, d’où il n’a jamais le sentiment de devoir quoi que ce soit à autrui.  Il conquiert peu à peu sa liberté.  Ce n’est qu’à ce moment qu’il peut aimer gracieusement, sans attentes, sans concessions, sans flatterie, sans fard, sans hypocrisie, sans jugement.  Cela permet aux tensions, source d’angoisse et de conflits, de s’estomper.  Alors, l’être découvre qu’il trouve son bonheur dans ce qu’il est, dans ce qu’il pense de lui, dans l’estime personnelle.  Il apprend à d’abord se connaître et se plaire à lui-même.  Il cesse de critiquer, de juger, de condamner.  Il ne pense plus qu’à prendre les réalités pour ce qu’elles sont, des aspects qui lui sont extérieurs et qui n’ont sur lui que l’influence qu’il leur accorde.

   Comme il a été précisé au début, la pire des dépendances, c’est probablement, par son impact en profondeur, la dépendance affective.  On parle ici de la perturbation pathologique de la relation avec soi qui découle du maintien, à l’âge adulte, de comportements de survie développés dans l’enfance, sous l’action des peurs acquises, qui finissent par nourrir un processus décisionnel axé sur les réactions affectives observées, anticipée ou projetées sur autrui par crainte d’une relation avec sa propre affectivité.  Ainsi, ce qui se fonde sur un sentiment d’impuissance et une extrême vulnérabilité, un être est porté à gérer sa vie à partir des besoins d’autrui ou à chercher sans cesse à être aimé, reconnu ou valorisé, ce qui comporte toujours une dimension de négation de sa propre personne, avec ses droits et ses devoirs, ce qui explique la majorité des formes de difficultés que le sujet affligé de cette dépendance connaît dans sa conduite humaine.  À vrai dire, dans tout vécu, il craint moins la réaction d’autrui que ce qu’il risquerait de ressentir dans sa propre vie affective si une réaction devait se produire tel qu’il l’anticipe.

   Dans le quotidien du couple, cette dépendance mène généralement, de façon insidieuse, vers le délire à deux.  Parce qu’ils vivent ensemble dans une grande intimité, deux personnes en viennent facilement à se lier au point de partager leurs idées déraisonnables et leurs préjugés, se les communiquant et les renforçant réciproquement, au point que la pensée erratique de l’un devient la substance mentale de l’autre.  Plus un être vit dans l’intimité de ses proches, plus il a tendance à emprunter leurs buts, leurs ressentis et leurs formes-pensées, se dépersonnalisant progressivement.  L’autre déteint sur lui, comme il déteint sur l’autre, au point de ne plus être lui-même, bien qu’il croie l’être resté.

   Cette dérive devient évidente lorsque l’un des membres d’un couple commence à s’exprimer à la place de son conjoint quand c’est ce dernier qui est interpelé ou est interrogé;  que les deux partenaires portent régulièrement au moins une pièce de vêtement identique;  qu’ils s’accompagnent dans toutes les sorties, quittes à renoncer à une soirée si l’un n’est pas disponible;  qu’ils n’acceptent pemotional-dependenceas, en public, de se trouver séparés, préférant s’asseoir l’un sur l’autre ou passer de longs moments enlacés ou à se toucher diversement, pour signifier qu’ils sont, l’un et l’autre, une propriété mutuelle;  que, même avec les amis, ils n’ont plus pour sujet de conversation que les aspirations ou les préoccupations de l’autre.

   Dans un couple, en général, considérant l’autre comme sa demi-portion ou sa douce moitié, au lieu de nourrir son propre projet, chacun des partenaires élabore une forme de caricature de projet, formé de la moitié de l’idéal de l’un et de l’autre, qui ralentit, chez chacun, la possibilité de se découvrir complètement dans sa pleine réalité d’être entier, complet et total en lui-même.  Bien qu’il en souffre, chacun s’en satisfait trop longtemps, soit tant que le bien-être qu’il tire de ses habitudes reste plus grand que ses malaises, jusqu’au jour où il commence à manquer d’air.  Dans un tel contexte, ni l’un ni l’autre ne peut évoluer sereinement, régulièrement, naturellement.  Alors, si l’un choisit d’aller au bout de lui-même, ne pouvant plus tolérer de se dépersonnaliser, au terme d’une grande désillusion, parfois de souffrances profondes, il peut se produire une implosion ou une explosion, selon la force du moi de chacun.

     Sur les réseaux sociaux de la Toile mondiale, la dépendance affective, souvent compliquée de narcissisme, généralement fondée sur un complexe d’infériorité, s’exprime par une grande assiduité et par la publication récurrente de photos personnelles.  Ou il faut donner l’impression d’avoir de nombreux amis et d’être très populaire.  On s’évalue d’après la réaction des autres.  Et on intervient à la place de ses présumés amis, s’ils sont apparemment attaqués.  Aussi publie-t-on à peu près n’importe quoi, mais peu de matériel original, au sens de production personnelle, dans le simple désir de meubler son temps, d’échapper à l’isolement, de remplir les temps morts ou d’attirer l’attention.  On tente de laisser sa trace un peu partout, sur tous les murs.  Ou encore, on se mêle d’entrer en contact avec de purs inconnus, de préférence des gens apparemment intéressants, donc qu’on juge beaux, riches, célèbres, intelligents ou instruits, soit valorisants, oubliant qu’il ne s’agit jamais que d’amis virtuels, donc de relations anormales, soit hors des normes de la vie coutumière, tentant de les séduire ou de les impliquer dans son petit jeu de solitaire désabusé qui se cherche un divertissement sensuel, une raison de vivre  ou quelque chose à faire.

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